Cancer du sein : se faire dépister ou non ?

Par Priscille Tremblais - Journaliste scientifique Publié le 24/08/2021 Mis à jour le 31/10/2022
Point de vue

Chaque année, Octobre rose sensibilise les femmes au dépistage du cancer du sein. Mais la mammographie réalisée tous les deux ans présente-t-elle des inconvénients ? Entretien avec la Dre Cécile Bour, radiologue et auteure de Mammo ou pas mammo.

Dre Bour, vous êtes radiologue et membre du collectif Cancer rose qui vise à informer les femmes sur le dépistage du cancer du sein. Est-ce ce qui vous a poussée à écrire Mammo ou pas mammo ?

Ce livre est effectivement issu de mon propre cheminement. Quand j'étais jeune radiologue, j'ai beaucoup cru à ce dépistage systématique du cancer du sein, comme tout le monde. Puis sont arrivées les premières évaluations du dépistage, par des chercheurs nordiques du groupe Cochrane, ainsi que des rapports épidémiologiques qui ont commencé à tirer la sonnette d'alarme sur le fait que le dépistage ne réduisait pas la mortalité et comportait des inconvénients. Je me suis alors rapprochée du Formindep, une association pour une information santé indépendante, où j'ai rencontré des personnes encore plus inquiètes que moi sur la mésinformation des femmes. C'est comme cela que nous avons eu l'idée de créer le site Cancer Rose pour informer les gens. Si, au début, il existait une controverse sur les effets indésirables du dépistage, on est au-delà aujourd'hui.

Faire un ouvrage « pratico-pratique » en rassemblant des situations cliniques vécues pour expliquer tout ceci et répondre au mieux aux questions des femmes me semblait être l'aboutissement de mes efforts pour transmettre une information accessible.

Votre livre part des questions que les femmes vous ont posées. Quelle est celle qui revient le plus souvent ?

La question que j'entends le plus, c'est « maintenant je suis tranquille pour deux ans, vraiment ? ». Et malheureusement je suis obligée de doucher cet espoir-là.
Le dépistage ne prévient pas le cancer. Une femme ne doit pas faussement rassurée par une mammographie négative. Ce serait prendre le risque qu'elle ne prenne pas au sérieux l'apparition d'un symptôme dans les semaines ou mois suivants sous prétexte que la mammo précédente était normale.
Cette question, parmi d'autres, peut ainsi devenir la base d'une discussion nécessaire, où je peux informer les femmes sur les tenants et aboutissants du dépistage systématique, et sur ses inconvénients. Toutes les lésions ne sont pas utiles à être détectées.

« Primum non nocere » est le pilier de notre exercice. À nous, médecins de ne pas inciter des femmes saines dans un dépistage qui comporte des risques sans les en informer, et de ne pas entraîner des personnes en bonne santé vers une surmédicalisation.

Un des soucis de la mammographie est qu'elle expose à du rayonnement ionisant. Pourquoi ne pas utiliser l'échographie à la place ?

En fait, le rayonnement reçu n'est pas le principal problème de la mammographie (sauf pour des patientes jeunes qu'on incite trop tôt à se faire dépister et qu'on expose de manière répétée et trop systématique). Le souci premier, c'est le surdiagnostic. Et concernant ce dernier, l'échographie n'est pas meilleure que la mammographie, elle expose aussi à ce problème.
Mais elle peut être utilisée en première intention en cas de symptômes inquiétants.

Pouvez-vous nous expliquer en quelques mots le problème du surdiagnostic ?

Que ce soit par écho ou mammographie, un surdiagnostic correspond à la découverte de lésions qui, si elles n'avaient pas été détectées, n'auraient jamais impacté la santé de la femme ni mis sa vie en danger. Certaines lésions peuvent rester latentes, évoluer lentement, ou trop lentement pour mettre les femmes en danger, parfois même régresser ; mais leur détection entraîne de facto leur traitement. Le surdiagnostic, c'est donc une détection inutile d'une lésion n'apportant aucun bénéfice pour la femme mais conduisant à un surtraitement qui, lui, peut avoir des effets secondaires parfois graves.

Vous parlez aussi dans votre livre des cancers dits de l'intervalle. Qu'est-ce que c'est ?

C'est un cancer très rapide, imprévisible qui arrive entre deux mammographies. Très agressifs, ces cancers peuvent apparaître parfois en quelques jours. Ce sont ces cancers souvent ratés par le dépistage. J'ai l'exemple d'une patiente de 54 ans qui a eu une mammographie normale en septembre puis a senti une boule dans un sein vers Noël mais n'a consulté qu'en mars. À ce moment-là sa tumeur faisait déjà 4,5 cm. Cet exemple illustre ces formes agressives non anticipées par le dépistage et explique pourquoi nous n'arrivons toujours pas à bout du cancer du sein.

Vous expliquez que si on n'arrive pas à bout de ce cancer, c'est que la théorie de son développement est fausse.

Tout à fait. Le développement cancéreux n'est pas linéaire comme cela continue pourtant à être affirmé. Le dépistage est basé sur cette théorie de développement linéaire du cancer, le but étant de trouver une tumeur petite et de la traiter avant qu'elle grossisse. Or, le génie du cancer n'est pas aussi simple. Un cancer agressif le sera d'emblée, même petit ; à l'inverse certaines petites tumeurs à caractère non agressif ne grossiront jamais, on sait que certaines régressent. Mais une fois détectée, toute lésion sera traitée systématiquement car on ne peut pas parier sur son évolution ou non.

Est-ce que les recommandations de dépistage sont différentes pour les femmes dites à risque de cancer du sein ?

Le dépistage systématique du cancer du sein est destiné aux femmes sans sur-risque particulier. Et c'est à ces femmes que mon livre s'adresse. Quand il existe un risque génétique ou familial, la prise en charge est personnalisée et se fait souvent dans des centres spécialisés faisant intervenir oncologues et généticiens.

Est-ce que le dépistage du cancer du sein a permis une diminution de la mortalité depuis sa mise en place ?

Il est fait une présentation fallacieuse de la diminution de la mortalité imputable au dépistage systématique du cancer du sein. On parle de 20 % de mortalité en moins, et tout le monde comprend que sur 100 femmes dépistées, 20 en moins mourront du cancer du sein.
Or ce n'est pas de cela qu'il s'agit, il faut regarder les vrais chiffres que cachent ces pourcentages. En réalité, il s'agit d'une réduction de mortalité quand on compare deux populations fictives. Les évaluations qui ont été faites donnent, sur 2000 femmes non dépistées en 10 années 5 décès par cancer du sein, et sur 2000 femmes dépistées sur 10 années 4 décès par cancer du sein. C'est ce décès en moins que représentent les 20 % mis en avant partout (5-4/5=0,2).

Avec cette présentation en chiffres réels, on comprend bien qu'il faut dépister beaucoup de femmes pendant très longtemps pour obtenir un tout petit gain, une seule vie sauvée. Or ce maigre bénéfice est contrebalancé par les effets délétères du surtraitement, dont certains mortels. On arrive ainsi finalement, avec ce dépistage, à un « jeu à somme nulle » où la mortalité toutes causes ne baisse pas du fait du dépistage.

Pour aller plus loin, lire : Mammo ou pas mammo ?

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