Olivier Roellinger : "Retrouver votre Orient en cuisinant les épices"

Par Sarah Amiri - Diététicienne et journaliste scientifique Publié le 14/12/2021 Mis à jour le 17/12/2021
Point de vue

Olivier Roellinger est l’un des plus grands cuisiniers français, triplement étoilé. C’est le premier à avoir remis les épices à l’honneur, et à s’être battu pour une cuisine métissée et ouverte sur le monde. Il est l’un des seuls chefs à inventer des mélanges d’épices.

LaNutrition.fr : Qu'est-ce qui vous a mené à utiliser les épices dans votre cuisine ?

Olivier Roellinger : J’ai tenté d’exprimer à la fois une région, un environnement naturel, c’est-àdire le plus frais pêché, le plus frais cueilli et le mieux élevé et le mieux cultivé, et l’expression d’un environnement culturel, et c’est là que l’on s’approche des épices. Saint-Malo était un port très important à l’époque de la Compagnie française des Indes Orientales. Au XVIIe siècle dans ses murs, la mondialisation des saveurs était déjà en route ; on trouvait d’ailleurs déjà 14 épices, c’est de là qu'est né mon premier mélange d’épices, nommé Retours des Indes. Je me suis intéressé à ces épices que je ne connaissais pas, j’ai d’abord tâtonné pour créer ce premier mélange, puis ensuite, j’ai créé Grande caravane, Poudre serenissima et bien d'autres...

Pour aller plus loin, lire notre article complet sur les épices : Santé, cuisine : le guide des épices

LN : Pourquoi est-ce si important de mélanger les épices ?

O.R. : J’ai compris très vite qu’une épice ne s’utilise pas seule, ça c’est une obsession occidentale. Quel que soit l’endroit du monde, toutes ces cuisines aux parfums d’épices font toujours des mélanges (Garam Masala, Ras el-Hanout, Colombo, Cajun…). Parfois, je vois des recettes de collègues d’un poisson à la cardamome par exemple, cela n’a pas beaucoup d’intérêt. En dehors du poivre qui peut s’utiliser seul, toutes les autres épices sont intéressantes parce qu’elles sont mariées. C’est un petit peu comme dans le monde de la parfumerie, on n’imagine pas choisir un seul ingrédient et en faire son parfum, le mélange est indispensable. Les épices c’est un peu ça, ce qui est ma singularité, car j’ai été le premier à créer des mélanges d’épices, mais avec un goût à la française. Au départ, c’était vraiment pour raconter l’histoire de la Compagnie des Indes, mais ensuite, je suis devenu un vrai compositeur d’épice, comme un nez pourrait le faire dans le monde du parfum. Donc l’idée du mélange, c’est de construire une saveur selon le produit auquel il est dédié (un poisson, un coquillage, une viande, un légume…), et selon la technique utilisée (mijoté, jeté au dernier moment…), selon la saison aussi…

LN : Quels conseils pouvez-vous nous donner pour choisir les épices ?

O.R. : Pour choisir les épices, oubliez les supermarchés, d’ailleurs ce conseil est valable pour tous les autres ingrédients de votre cuisine. Il faut quand même savoir qu’en France, le poivre consommé a en moyenne 7 ans. C’est effrayant, il n’a plus aucune saveur, mis à part le fade piquant de la pipérine. C’est cela qui est intéressant : dans une même épice, il y a une palette de saveurs tellement variée ! Rien que dans les Piper nigrum, nous présentons 22 variétés de poivres, sans compter les poivres blancs, les poivres verts et les poivres rouges. 

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Je conseille de se procurer les épices dans les épiceries fines. Il faut aussi s’assurer que ce que l’on achète a été cultivé sur la base de principes éthiques, sociaux et environnementaux. 

LN : Un prix élevé est-il synonyme de qualité ?

O.R. : Non, absolument pas. Aussi surprenant que cela puisse paraître, notamment pour les gens qui poussent la porte des épices Roellinger persuadés de venir acheter les épices les plus chères du monde, je me suis aperçu que nous avions des produits moins chers qu’en supermarché. De même pour la vanille ! C’est vraiment une idée reçue que si on achète cher ce sera forcément bon. A contrario, le bon n’est pas forcément cher.

LN : Quelle qualité et quelle forme nous conseillez-vous de privilégier ?

O.R. : Il faut être extrêmement vigilant, car il y a énormément de tricheurs. Si j’avais un conseil à donner, ce serait d’éviter d’acheter les poudres d’épices qui sont susceptibles d'être coupées avec d'autres ingrédients. Il y a d’ailleurs des enquêtes de la DGCCRF en cours et beaucoup de scandales passés. Ensuite pour choisir une épice, il faut s’assurer que ce que l’on achète a été cultivé sur la base de principes éthiques, sociaux et environnementaux. Il faut que les gens qui la cultivent soient bien payés et qu’il n’y ait pas de travail d‘enfants ; c’est le label de commerce équitable. Ensuite il faut s’assurer que la culture de l’épice en question respecte des normes environnementales et toxicologiques. Aujourd’hui, il y a des marques autres que les épices Roellinger, qui assurent cette qualité, je pense d’ailleurs à Thiercelin ou Terre exotique…

LN : Quels conseils pouvez-vous donner à un cuisinier modeste pour se lancer dans la cuisine aux parfums d'épices ?

O.R. : Pour commencer, voici les indispensables pour faire votre propre mélange : d’abord vous procurer un joli poivre noir en grains, des graines de coriandre, des graines de cumin, un peu de graine de fenouil – ça c’est une base. Ensuite on peut jouer avec cette base. Pour les cuisiner, c'est très simple, vous torréfiez l’ensemble dans une poêle à sec : vous les faites chauffer à température moyenne et dès qu’elles sentent bon, vous arrêtez et vous les mettez dans votre petit moulin à café ou dans votre mortier en ajoutant quelques grains de poivre. Avec cette base, vous allez ensuite ajouter d’autres épices en fonction de ce que vous allez cuisiner. Par exemple, si c’est un poisson, on peut ajouter un peu plus de fenouil, de la badiane, de l’aneth, un peu de gingembre (en poudre ou frais) et un peu de piment d’Espelette pour élever le plat. Ce qui est intéressant aussi, c’est d'associer au mélange des herbes aromatiques comme du thym ou de lavande. On peut aussi jouer sur les curcumas ou cette saveur qui paraît désuète et fanée du safran, imperceptible, mais qui est interminable en bouche… Il faut aussi préférer faire son mélange à part, pour pouvoir le réutiliser en le fermant hermétiquement et à l’abri de la lumière. Ensuite, on peut l’ajouter 10 à 15 minutes avant la fin de la cuisson, sauf tout ce qui est à base de curcuma, où là il faut faire rissoler l'épice dans un peu d’oignon, d’échalote ou d’autres légumes avant de mouiller avec un bouillon ou un vin. Vous pouvez mélanger un très grand nombre d'épices entre elles. Par exemple, nous avons des mélanges qui ont plus de 22 épices. Pour choisir les épices à ajouter dans votre mélange, il faut se plonger dans les sensations que l’on veut transmettre. Autre conseil : si vous commencez avec les épices, ne prenez aucun risque, ajoutez petit à petit vos épices à votre plat, c’est le temps et l’expérience qui vous rendra un peu plus audacieux. Il ne faut pas vouloir faire un plat aux épices. J’ai écrit une fois que les épices sont à la cuisine, ce que la ponctuation est à la littérature. Les épices doivent mettre les saveurs en relief et non les surplomber.

LN : D'un point de vue symbolique, qu'est-ce que ça représente pour vous d'utiliser des épices pour cuisiner ?

O.R. : Quand on pense épices, on pense voyage et évasion, santé, mais les épices vont au-delà. C’est tout de même ingérer quelque chose qui ne pousse pas chez nous, ni au fond du jardin ni dans le champ du voisin, donc c’est ingérer quelque chose qui ne fait pas partie de notre culture.C’est aussi une manière d’accepter l’autre, et de le faire devenir soi. C’est un moyen d’enrichir sa propre identité culinaire. Toutes les grandes civilisations, toutes les cuisines du monde ont voulu ingérer quelque chose d'aussi mystérieux que les épices. D’ailleurs dans le monde artistique, on retrouve ce concept dans la recherche de « son propre Orient ». Son Orient, c’est regarder ce qui est derrière son reflet dans le miroir, c’est la recherche de l'inconscient, on se dit désorienté et non « désoccidentalisé ». Et les épices permettent finalement cette ouverture à travers l’alimentation. Il faut quand même prendre du recul et se rappeler, que pendant des siècles, on ingérait ces épices avec le même sentiment que si aujourd’hui on ingérait une graine, une écorce, une fleur venant de Mars, de Vénus ou de Jupiter. À l’époque, c’est ainsi qu’on percevait les côtes lointaines.

LN : Est-il possible de consommer des épices dans le cadre d'une alimentation durable ? Que peut-on répondre aux locavores ?

O.R. : Évidemment, moi aussi je suis locavore, mais le locavorisme est un discours à contre-balancer. S’il avait régné depuis la nuit des temps toutes les cuisines seraient bien maigres, et en particulier la nôtre, car que serait-elle sans pomme de terre, haricot, maïs, courgette, tomate ? Il n’y aurait que des choux et des raves, et ce serait un peu tristounet. Il y a des moyens de consommer des épices de manière durable, en préférant les produits de petits producteurs socialement éthiques, pratiquant l’agroforesterie sans traitement phytosanitaire, comme nous le proposons pour les épices Roellinger.

Découvrez des recettes aux parfums d'épices :

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