Le sélénium : un nouvel indicateur de longévité ?

Par Collectif LaNutrition.fr - Journalistes scientifiques et diététiciennes Publié le 14/09/2006 Mis à jour le 26/09/2017
Point de vue

Nassime Tasnime Akbaraly s’est intéressée aux facteurs biologiques nutritionnels responsables du vieillissement en exploitant les résultats de l’étude EVA (Etude du Vieillissement Artériel). Avec son équipe dirigée par le Dr Claudine Berr, elle est l’une des premières à avoir détecté un lien entre la mortalité et les concentrations sanguines de sélénium.

L'étude

L’étude publiée par Nassime Tasnime Akbaraly se base sur les résultats obtenus par le projet EVA (Etude du Vieillissement Artériel) lancée par l’INSERM en 1991. Près de 1400 habitants de Nantes âgés de 59 à 71 ans ont accepté de participer à l’étude : pendant dix ans ils ont répondu à des questionnaires sur leur mode de vie, effectué régulièrement des dosages biologiques et fait évaluer leurs performances cognitives.

Les résultats

Les résultats de Nassime Tasnime Akbaraly indiquent que le sélénium pourrait être un indicateur de longévité chez les personnes âgées. En effet, ils montrent que les personnes décédées pendant l’étude avaient, dès le début, moins de sélénium dans leur sang que les autres : 1,01 µmole/L contre 1,10 µmole/L.

En recherchant plus particulièrement les causes des décès, Mme Tasnime Akbaraly et son équipe, se sont aperçues que 45 d’entre eux étaient dus à des cancers et que le manque de sélénium pouvait être associé à ce type de maladie.

L'entretien

Comment en êtes-vous arrivé à vous intéresser aux effets du sélénium ?

Nassime Tasnime Akbaraly : Un bon épidémiologiste doit avant tout maîtriser parfaitement les données sur lesquelles il travaille. Pour cela il est nécessaire de bien connaître les caractéristiques de la population d’étude et de son suivi tout au long de l’étude. C’est dans le cadre de ce travail préliminaire que nous avons analysé toutes les données à notre disposition et observé les liens entre la mortalité et les paramètres du stress oxydant tels que les taux de vitamine E ou l’activité de la glutathion peroxydase.

Nous n’avons trouvé aucune association avec les paramètres du stress oxydant. En revanche, nous avons découvert que la mortalité était liée aux taux sanguins de sélénium. A partir de là nous nous sommes intéressés plus particulièrement à cet élément. Nous avons recherché tout ce qui avait pu être publié à ce propos et creusé dans cette direction.

Et que pouvez-vous nous dire sur le sélénium ?

L’histoire de ce minéral est très intéressante. Le sélénium à été découvert en 1817 par Jöns Jacob Berzélius et Johan Gottlieb Gahn, deux chimistes Suédois. A ce moment les chercheurs ont mis en garde contre la toxicité de cet élément. Puis, en 1957, des scientifiques mettent en évidence le caractère essentiel du sélénium pour les espèces animales. Ce minéral peut donc se révéler dangereux quand il est présent en trop grande ou trop petite concentration dans l’organisme.

Sinon, de façon plus biologique, le sélénium est un oligoélément qui est intégré sous la forme d’un acide aminé (la sélénocystéine) dans les sélénoprotéines. Certaines de ces protéines sont impliquées dans le maintien de l’équilibre entre la production de radicaux libres et les défenses de l’organisme. Le sélénium serait ainsi impliqués dans de nombreux processus physiologique : fonctions immunitaires, infections virales, reproduction, cancérogènes, maladies cardiovasculaires, …

Qu’avez-vous appris de cette étude ?

Au cours des 10 ans de suivi, 101 personnes sont décédées. Leurs niveaux de sélénium plasmatique au début de l’étude étaient significativement plus faibles que pour les autres : 1,01 µmoles/L contre 1,10 µmoles/L. Nous avons mis en évidence que le risque de décès était multiplié par 1, 5 pour chaque diminution de 0.2 µmol/L de sélénium.

Nous nous sommes ensuite intéressés plus particulièrement aux causes de ces décès : 45 étaient dus à des cancers, 22 à des malades cardiovasculaires. Quand on observe les taux de sélénium selon les types de décès on voit que l’apparition du cancer est lié aux faibles taux du minéral. En revanche, pour les maladies cardiovasculaires, nous n’avons pas pu mettre ce lien en évidence. Toutefois la non observation de relation avec les décès par maladies cardio-vasculaires peut être expliqué par le le faible nombre de décès.

Connaissez-vous le mécanisme d’action qui ce cache derrière vos découvertes ?

Nous pensons que le lien entre le sélénium et la mortalité pourrait s’expliquer par le stress oxydant. Une des enzymes clef intervenant dans la défense de l’organisme contre ce stress est la glutathion peroxydase, dont le sélénium est essentiel pour son bon fonctionnement. Toutefois dans notre étude nous n’avons pas mis en évidence de lien entre l’activité de cette enzyme et la mortalité. A ce stade des analyses il est difficile d’avancer une piste précise concernant les mécanismes biologiques pouvant expliquer notre relation car il existe de nombreuses autres sélénoprotéines que nous n’avons pas étudié ici. D’autres études supplémentaires seront nécessaires, incluant le dosage de ces enzymes, afin de mieux comprendre les mécanismes mis en jeu.

Vous avez mis en évidence un lien entre la mortalité, toute causes confondues, et une déficience en sélénium. Celui-ci pourrait-il être considéré comme un indicateur de longévité ?

Nos résultats suggèrent cela en effet, mais pour l’instant cela n’est qu’une hypothèse. Pour la vérifier, il est nécessaire que cette relation soit retrouvée dans d’autres populations. En effet, nous devons garder à l’esprit que les sujets recrutés dans EVA ne sont pas forcément représentatifs de la population française du même âge.

Dans quels aliments peut-on trouver du sélénium et pensez-vous qu’il soit judicieux de prendre des suppléments ?

On retrouve cet oligo-élément dans les produits carnés – rognons de porc ou de bœuf – ainsi que dans le poisson et les mollusques.

En ce qui concerne les suppléments, je vous rappelle que le sélénium est un élément essentiel pour notre organisme mais que sa présence en trop grande quantité peut se révéler toxique. Il me semble donc prématuré de conseiller des suppléments tant que des études cliniques n’ont pas analysé les taux optimaux de cet oligo-élément chez les personnes âgées. En parallèle, nous devons approfondir nos connaissances sur les relations entre les apports par supplémentation de sélénium et les taux qui restent dans le sang.

Deux grandes études, l’une américaine et l’autre européenne, qui portent sur plus de 30 000 personnes sont en cours. Leurs résultats apporteront des connaissances supplémentaires et pourront confirmer ou infirmer le supposé effet protecteur du sélénium dans les processus cancéreux.

Propos recueillis par Emilie Né.

Deux études épidémiologiques récentes indiquent que les statuts plasmatiques en sélénium des Français sont loin d’être optimaux. D’après l’Etude du Val de Marne, 30 % des adultes auraient des taux plasmatiques trop faibles. L’étude SUVIMAX (Supplémentation en Vitamines et Minéraux Anti-Oxydants) montre pour sa part que 85 % des hommes et 75% des femmes ont des valeurs inférieures aux taux optimaux (1).

Pourquoi ces déficits? Le sélénium des aliments est l’oligo-élément qui dépend le plus de la concentration dans les sols : les quantités qui vont se retrouver dans l’alimentation varient selon les pays voire même les régions (1). Or les sols d’Europe du Nord, et notamment de France, ne contiennent pas beaucoup de sélénium : soit la roche mère renferme peu de ce minéral, soit il est retenu par de l’argile et des hydroxydes de fer, soit de fortes pluviosités lessivent les sols.

(1) Arnaud J : Serum selenium determinants in French adults: the SU.VI.M.AX study. Br J Nutr. 2006 Feb;95(2):313-20.

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