Nous avons besoin d'un nouveau décret sur le pain

Par Christian Rémésy - chercheur nutritionniste Publié le 15/06/2023 Mis à jour le 16/06/2023
Point de vue

Ancien Directeur de Recherche de l’INRAE, Christian Rémésy est l'auteur de Sauvons le pain et de La Nutriécologie. Dans cette tribune, il demande aux pouvoirs publics un nouveau décret pour donner une meilleure lisibilité nutritionnelle au pain.

Jusqu’à présent, la boulangerie a fait l’exploit de commercialiser ses divers pains, voire d’en revendiquer l’excellence sans jamais communiquer leur composition nutritionnelle, sans fournir la nature des ingrédients utilisés, sans expliciter la signification des types de farine, sans toujours préciser la nature du ou des ferments utilisés, sans donner les teneurs de sel incorporées par kg de farine. Tous ces paramètres pourraient clairement et avantageusement être affichés dans chaque boutique pour gagner la confiance des consommateurs.

Le temps est venu de jouer carte sur table et de donner une lisibilité nutritionnelle au pain par l’intermédiaire d’un nouveau décret pain, l’ancien décret étant totalement insuffisant et même pas appliqué. Grâce à cette exigence, il est fort probable que les boulangers feront évoluer leur pratique vers l’excellence nutritionnelle.

Les anomalies du décret « pain de tradition française »

Lorsqu’un français entre dans une boulangerie, il a souvent le choix d’acheter une « baguette de tradition ». C’est normalement la garantie de disposer d’un bon pain avec une mie crème, bien alvéolée. En fait, cette appellation ne correspond nullement à un pain traditionnel, puisqu’elle fait référence au décret "Pain de tradition française" publié en 1993 pour mettre un terme à l’abus d’additifs en panification.

Petit rappel historique, durant les années glorieuses du développement, la boulangerie inventa le pétrissage intensifié qui rendit le pain plus blanc que blanc, insipide et rassis en quelques heures. Le pain très aéré y gagnait en volume et le client berné finit par diminuer la consommation de cet aliment. Par ailleurs, comme pour d’autres aliments, la filière blé pain avait l’autorisation administrative d’incorporer plein d’additifs dans les farines, ce qui achevait d’altérer la qualité du pain.

Pour mettre fin à ces dérives, le gouvernement d’Edouard Balladur promulgua le décret dit "Pain de tradition française" interdisant les divers additifs. Cependant la meunerie a pu par la suite doper à sa guise les farines par l’ajout de gluten vital (sous-produit de l’amidonnerie) et par des enzymes (type amylase) qui échappent à tout contrôle puisqu’elles sont détruites à la cuisson.  C’est ainsi que la baguette de tradition est devenue bien standardisée.

En fait à l’origine, le décret "Pain de tradition" concernait l’ensemble des pains, mais in fine il n’a servi qu’à la promotion de la baguette. Pour les autres types de pain, jamais vendus avec l’allégation « pain de tradition » (ce qui est bien paradoxal), les meuniers peuvent donc doper leurs farines avec les additifs à leur convenance, ce qui décrédibilise d’ailleurs l’inscription de la baguette à l’Unesco. En fait, pour gagner durablement la confiance des consommateurs, la meilleure solution serait de n’utiliser que des farines natives sans aucun ajout d’additifs, de gluten ou d’enzymes. C’est ce que propose l’association des Ambassadeurs du pain sous l’appellation originale de Respectus Panis.

Afficher la valeur nutritionnelle des farines dans les boulangeries

Un levier indispensable pour accroître la densité nutritionnelle du pain serait de mieux communiquer sur la qualité des farines utilisées. Premier constat, les boulangers ne le font quasiment pas ; autre problème, les farines sont classées par un Type dont le grand public ignore la signification. Les pouvoirs publics sont totalement responsables de cette anomalie mais la filière blé pain n’a rien fait pour faire évoluer cette réglementation. La solution est très simple, la valeur du Type devrait être exprimée en mg de minéraux totaux pour 100 g (ce qui sert d’ailleurs à le définir), rendant sa valeur enfin explicite. Avec ce mode d’expression, les farines blanches apparaîtraient nettement moins minéralisées que les farines bises ou complètes. La suite est limpide, puisque les teneurs en fibres ou en vitamines varient comme celles des minéraux. Ce n’est pas étonnant puisque tous ces éléments sont concentrés dans les enveloppes du grain, éliminées de la farine blanche.

La filière blé pain devrait donc être dans l’obligation de mettre à la disposition des boulangers les tableaux de composition nutritionnelle des farines (correspondant aux Types usuels), afin qu’ils soient affichés dans les boutiques de vente. Il est clair que l’explicitation nutritionnelle des Types de farines inciterait le consommateur à privilégier des pains plus complets, produits avec des farines Type 80, ou en incorporant des farines complètes à une farine T65 de base. Si la densité nutritionnelle des farines utilisées (et donc leur Type) était clairement communiquée, nul doute que cela pourrait influencer le choix des consommateurs et stimuler la consommation de pain. Pourquoi faudrait-il que le citoyen se désintéresse de la composition d’un aliment censé bien le nourrir ? Il est clair que la composition du pain reflète rigoureusement celle des farines dont il est issu, avec l’assurance qu’une bonne fermentation améliore la digestibilité de ses divers constituants, ce qui est un argument majeur pour le grand retour de la panification au levain.

Afficher la teneur en sel et la réduire très fortement dans les pains bis ou complets

La question du sel est l’autre sujet qui fâche et qui doit impérativement être réglé. Ce n’est pas un détail, le pain peut être la plus grande source alimentaire de sel. Or l’implication du sel dans la genèse de l’hypertension et des maladies cardiovasculaires est bien établie. Pourtant, les boulangers n’affichent quasiment jamais la teneur du sel utilisée (exprimée par kilo de farine) et en France sous la pression des lobbies, les pouvoirs publics n’ont jamais fixé une limite réglementaire de l’utilisation du sel en panification, contrairement à certains pays comme le Portugal ou la Belgique. La seule recommandation (non obligatoire) a été de limiter l’ajout de sel à 18 g par kg de farine. La boulangerie française a voulu garder la main et s’engagerait de réduire à son rythme le sel dans le pain.

Rien de bien significatif, dans 20 ans le problème ne sera pas encore résolu. Une remarque s’impose : l’ajout d’une forte quantité de sel est rendue nécessaire lorsque un pétrissage trop intensif rend insipide une pâte de farine blanche. Donc il faut au préalable réduire le pétrissage pour espérer limiter à 15 g par kilo la teneur de sel dans une farine blanche. Ce serait tout à fait possible, et bénéfique pour l’index glycémique.

Par ailleurs, dès que l’on va vers des pains bis ou plus complets, la baisse du sel peut être encore plus forte. En effet, la présence du son donne du goût à la pâte, de même que l’utilisation de levain ou de graines diverses, si bien que l’ajout de sel peut et doit être réduit dans ces cas à 12 g au kg. En fait nous aurions besoin d’une réglementation qui fixe la teneur maximale de sel à utiliser en fonction du Type de farine. Il est remarquable qu’en allant vers les pains bis ou plus complets tous les paramètres nutritionnels, y compris la teneur de sel puissent être améliorés. Encore faudrait-il que les consommateurs en soient bien informés.

En conclusion, pour préserver l’avenir du pain, les représentants de la filière blé pain et les Pouvoirs Publics devraient s’accorder sur un nouveau décret qui permette de contrôler la valeur nutritionnelle au pain. Trente ans après le premier décret pain, cette mesure devient urgente pour l’avenir du pain et l’intérêt général !

Pour aller plus loin, lisez : Sauvons le pain

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