Vincenzo Di Marzo : « Le système endocannabinoïde joue un rôle crucial dans l’organisme »

Par Christian Boyer - Nutritionniste Publié le 22/10/2018 Mis à jour le 22/10/2018
Point de vue

LaNutrition.fr a interrogé le Dr Vincenzo Di Marzo, un spécialiste du système endocannabinoïde. Ce système, à la fois simple et complexe, est présent dans tout l’organisme pour l’aider à maintenir l’homéostasie, c’est-à-dire son équilibre interne. Détails.

LaNutrition : Pourriez-vous définir simplement ce qu’est le système endocannabinoïde? 

Vincenzo Di Marzo* : Le système endocannabinoïde débute en tant qu’un système de communication de médiateurs lipidiques relativement simple à première vue, mais il s’agit d’un système beaucoup plus complexe. Le système endocannabinoïde est un système de signaux chimiques qui dérivent de l’acide arachidonique, un acide gras oméga-6, qui est aussi le précurseur de nombreux autres médiateurs. 
Les endocannabinoïdes sont appelés ainsi car ils ont été découverts lorsque les chercheurs étaient à la recherche de molécules produites par le corps (endogènes) se fixant sur les récepteurs cannabinoïdes. 
Endocannabinoïdes, en un seul mot fait donc référence aux médiateurs endogènes, qui sont à distinguer des phytocannabinoïdes, en particulier le fameux delta-9-tetrahydrocannabinol (THC). 
Le THC provenant de la plante de cannabis est en effet capable lui aussi d’activer les récepteurs cannabinoïdes.

Quels sont les principaux endocannabinoïdes produits par l’organisme ?

Il y a deux endocannabinoïdes majeurs :
- l’anandamide (AEA) dont le nom provient du Sanskrit « Ananda » qui signifie la joie, manifestement parce que les personnes associent l’usage du THC avec le sentiment d’euphorie, et « amide » parce qu’il s’agit d’un amide (une classe de molécules chimiques).
- le 2-arachidonoylglycérol (2-AG) qui est formé à partir d’acide arachidonique et de glycérol.

Et il y a deux récepteurs principaux pour ces endocannabinoïdes, qui sont aussi des récepteurs au THC : les récepteurs CB1 et CB2. De plus, il y a de nombreuses enzymes qui sont nécessaires pour synthétiser les endocannabinoïdes. 
Dans les cellules, on a donc besoin d’enzymes qui synthétisent ces composés, et d’enzymes qui les dégradent en mettant normalement fin aux signaux qu’ils transmettent. Chaque signal chimique a besoin d’être présent à la bonne place et au bon moment et d’être inactivé lorsqu’il n’est plus nécessaire. De ce point de vue-là, le système endocannabinoïde est donc relativement simple mais également compliqué car il est présent dans quasiment la totalité des cellules et des tissus. 

Est-ce que malgré tout, il y a des zones du corps où le système endocannabinoïde est plus présent ?

Il est très représenté dans le cerveau, notamment au niveau des neurones et d’autres types de cellules telles que les astrocytes et les microglies. Par ailleurs, on le retrouve dans de nombreux tissus périphériques (le système cardiovasculaire, gastro-intestinal et immunitaire par exemple).

Evidemment la distribution des récepteurs est différente : CB1 est plus abondant au niveau du cerveau mais il est aussi retrouvé au niveau de tissus périphériques, alors que CB2 est plus abondant dans les tissus périphériques comme les cellules immunitaires. Il a été montré que CB1 est très important dans la modulation de la libération de neurotransmetteurs (glutamate et GABA). Le récepteur CB2 est lui très important pour moduler la libération de cytokines (des molécules inflammatoires), des cellules immunitaires.

A quoi sert le système endocannabinoïde ?

Ce système est très important car il est pléiotrope, c’est-à-dire qu’il a de multiples fonctions. Il a été montré qu’il module de nombreuses situations physiologiques et qu’il est facilement perturbé lors de situations pathologiques. Habituellement lorsque la condition pathologique est temporaire, le rôle du système endocannabinoïde est de rétablir l’équilibre initial (homéostasie), ce qui veut dire que tout ce qui a changé dans le statut d’une cellule ou d’un tissu, le système va l’aider à revenir à un « état initial ». Ce mécanisme d’adaptation fonctionne de manière efficace parce que le système n’est activé qu’au niveau des cellules affectées par une perturbation pathologique et seulement lorsque la perturbation est effective.
Cependant, lorsque la situation pathologique devient chronique, le système endocannabinoïde peut être non seulement altéré de façon permanente mais aussi au niveau des cellules voisines. De cette façon il n’exercera pas nécessairement une action protectrice mais pourra contribuer à la progression de la pathologie

Pouvez-vous donner un exemple où ce système contribue à la progression de la pathologie ?

Le cas typique qui peut être donné en exemple est l’obésité. Habituellement, lors d’une situation de jeûne, le système endocannabinoïde est seulement activé au niveau de certains neurones et zones spécifique du cerveau, puis il devient inactivé après la prise alimentaire. Le but est de faire en sorte que nous consommions plus de nourriture et que nous dépensions moins d’énergie, seulement quand on en a besoin. Mais, dans le cas d’une obésité ce système devient actif de façon non sélective et prolongée, tel un cercle vicieux, nous poussant donc à manger encore plus et dépenser encore moins d’énergie.

Pourquoi, selon-vous, ce système de communication est-il important dans le corps humain ? 

Il est important parce qu’il est impliqué dans tous les aspects physiologiques de la biologie des mammifères ! Au niveau du cerveau, en tant que régulateur de la libération de neurotransmetteurs, dans le système immunitaire comme un régulateur des réponses inflammatoires, mais également au sein du système reproducteur, du système gastro-intestinal… Récemment on lui a également découvert un rôle important sur les muscles squelettiques.  
Ce système de communication joue un rôle crucial et c’est probablement un des seuls systèmes capable de contrôler l’ensemble des aspects de l’apport énergétique, du métabolisme et des perceptions des aliments au niveau de la bouche et du nez. En effet, il régule le goût et le sentiment de récompense que peut nous procurer la nourriture, il régule les processus de prise alimentaire ainsi que l’accumulation de masse grasse et la dépense énergétique. 
Il est aussi important pour le squelette car il régule l’ostéogenèse (formation de nouveau tissu osseux), un processus continu dans notre corps.

Le système endocannabinoïde n’est pas seulement important chez l’adulte mais aussi avant et après la naissance, car il régule notamment le développement du cerveau, des muscles et du pancréas par des mécanismes légèrement différents de ceux observés chez l’adulte. Des scientifiques ont par ailleurs montré qu’il est important chez les animaux âgés parce que de nombreuses conditions neurologiques sont détériorées à un âge avancé, et peuvent être améliorées via la manipulation du système endocannabinoïde (au moins dans les modèles animaux).

Qu'est-ce qui vous surprend le plus dans le fonctionnement de ce système ?

Je n’ai pas d’exemple d’un système tel que celui-ci qui avec deux récepteurs et deux médiateurs lipidiques peut contrôler un si grand et différent nombre de fonctions physiologiques, et qui peut être altéré par un si grand nombre de conditions pathologiques.

Le système endocannabinoïde est un système pro-homéostatique, qui maintient l’équilibre de l’organisme, comme je l’ai dit précédemment, et c’est intéressant car cela signifie que ce système nécessite d’être activé uniquement à la demande. Quand il y a une quelconque perturbation de l’état physiologique le système est activé puis inactivé dès qu’il n’y a plus de demande, ce qui veut dire que ce système doit être finement régulé.

Quelle a été votre plus grande découverte sur le sujet ?

Nous avons montré que ce système n’est pas uniquement composé que de deux signaux chimiques (l’anandamide et le 2-AG), de deux récepteurs (CB1 et CB2) et de quatre ou cinq enzymes qui synthétisent et dégradent les endocannabinoïdes. Sûrement que notre plus grande découverte dans le passé a été de voir qu’il y a de nombreuses, et même probablement une centaine de molécules endocannabinoïdes-like. Ces molécules endocannabinoïdes-like sont des molécules dérivées d’acides gras à longue chaîne et chimiquement similaires à l’anandamide et au 2-AG (et produits et dégradés par les mêmes enzymes que pour les endocannabinoïdes) mais elles n’activent pas les récepteurs cannabinoïdes CB1 et CB2. En revanche elles sont capables d’activer d’autres récepteurs, qui ne jouent pas les mêmes rôles que les récepteurs cannabinoïdes dans notre physiologie. Le premier composé endocannabinoïde-like à avoir été identifié était un amide entre la dopamine et l’acide arachidonique et le second entre l’acide aminé glycine et l’acide arachidonique ou l’acide oléique.

Finalement, nous sommes arrivés à la conclusion que presque toutes les molécules bioactives comme les neurotransmetteurs (en particulier les catécholamines comme la dopamine) mais aussi les acides aminés peuvent former un amide avec n’importe quel acide gras à longue chaîne. Cette combinaison crée donc la possibilité de former environ une centaine de médiateurs. Cependant nous et d’autres chercheurs, n’avons a priori identifié qu’une vingtaine de ces composés, avec l’idée qu’il y en a beaucoup plus. Actuellement, nous ne connaissons pas avec exactitude leurs rôles et tous leurs récepteurs. Cette « extension » du système endocannabinoïde a été définie comme «l’endocannabinoïdome».

Propos recueillis par Christian Boyer.

* Le Dr Vincenzo Di Marzo est l’un des pionniers de la recherche sur le système endocannabinoïde. Il est membre de l’Institut sur la Nutrition et les Aliments Fonctionnels (INAF) de la ville de Québec et titulaire de la Chaire d’Excellence en Recherche du Canada (CERC) sur l’axe microbiome-endocannabinoïdome, avec l’objectif ambitieux de comprendre les liens entre les signaux environnementaux, le microbiote intestinal et la santé.
 

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