Pas d'augmentation de la mortalité en France après arrêt des statines

Par Collectif LaNutrition.fr - Journalistes scientifiques et diététiciennes Publié le 30/09/2016 Mis à jour le 27/04/2017
Actualité
Le débat sur les statines en France, en conduisant des patients à arrêter leur traitement, n'a pas conduit à plus de mortalité, mais s'est traduit par une baisse des décès selon des médecins.

Les statines, principaux hypocholestérolémiants, sont présentées par leurs promoteurs comme des médicaments très efficaces contre les maladies cardiovasculaires et peu risqués. Mais pour un nombre croissant de médecins et chercheurs internationaux indépendants comme, en France, Michel de Lorgeril (*) et Philippe Even (**), ces médicaments apportent au contraire peu ou pas de bénéfices pour un niveau de risques inacceptable. Ils ont décidé ces dernières années d’en informer ouvertement le public, d’où les débats et polémiques qui ont pu dissuader des patients de poursuivre leur traitement. 

« 10 000 décès dus aux arrêts des traitements »

Au début de l’été 2016, des pharmaco-épidémiologistes de l’INSERM à Bordeaux annonçaient dans les Archives of Cardiovascular Disease – une revue médicale émanation de la Société Française de Cardiologie – que les polémiques et discussions à propos de l’efficacité et la sécurité des statines faisaient courir de graves dangers aux populations en donnant aux patients des arguments pour arrêter un traitement que ces mêmes pharmaco-épidémiologistes jugent protecteur.
Au terme d’un travail sur un échantillon représentatif de la population française en 2013, ils ont en effet calculé que ces polémiques avaient entraîné chez les patients une augmentation de 50% des arrêts de traitement. Conséquence : une augmentation, selon eux, de la mortalité d’environ 15% dans leur échantillon soit un total d’environ 80 décès supplémentaires par rapport aux années précédentes.
En extrapolant ces chiffres à l’ensemble de la population française, l’arrêt des statines a pu provoquer, selon ces auteurs, entre 10 000 et 11 000 décès supplémentaires sur environ 9 mois de l’année 2013.
Cette "tragédie sanitaire" toute théorique a été violemment commentée dans certains médias, qui n’ont pas hésité à présenter les lanceurs d’alerte sur les statines comme de virtuels criminels. La polémique est survenue après que d'autres articles dans des journaux médicaux ont également imputé à l'arrêt de ces médicaments une hausse de la mortalité. Cependant, ces articles sont fondés sur des calculs et la plupart émanent de médecins et chercheurs liés à l'industrie pharmaceutique.

Mais dans un article qui paraît dans le Journal of controversies in biomedical research, les Dr Mikael Rabaeus, Paul Nguyen et Michel de Lorgeril, en se fondant sur des données observées et non calculées, rapportent que la mortalité n'a pas baissé en France en 2013, et qu'au contraire, les données disponibles suggèrent que si l'arrêt des statines a eu un effet, il apparaît plutôt bénéfique.

Les chiffres de la mortalité en 2013

Les chiffres de mortalité en France pour l’année 2013 ont été publiés par l’INSEE après validation par l’INSERM. Ils sont résumés (simplifiés) dans le tableau ci-dessous que reproduit l'article écrit par les 3 médecins :

Année 2009 2010 2011 2012  2013
Cause de décès (en milliers)   
Mortalité totale 535.4 539.1  534.6   558.2 556.2
Tumeurs 159.4 158.8 158.9 160.3 159.7
Cardiovasculaire totale 144.3 142.5 138.2 141.0 138.9
Cérébrovasculaire 32.0 31.6 31.7  32.2 31.6
Infarctus du myocarde 36.5 35.3 34.4 34.6 33.4

Les auteurs font observer (au-delà des petites fluctuations annuelles) que le nombre total de décès augmente régulièrement entre 2009 et 2013 ; ce qui n’est pas inattendu dans une population qui augmente et vieillit de façon assez régulière. On ne note toutefois aucune augmentation en 2013 par rapport à 2012 et même une tendance à casser la courbe de progression, laissant penser, écrivent les auteurs, que la tragédie sanitaire annoncée par les défenseurs des statines n’a pas eu lieu.

Les arrêts de statines ont-ils en fait sauvé 2000 vies ?

Le nombre des décès dus à des tumeurs est stable mais on note une légère diminution de la mortalité cardiovasculaire totale en 2013 par rapport à 2012 ou par rapport à la moyenne des 4 années précédentes (141 500 contre 138 900 en 2013). La mortalité cérébrovasculaire semble stable au cours des 5 années observées confirmant l’absence de surmortalité en 2013. Finalement, le nombre d’infarctus mortels – et c’est là essentiellement qu’on aurait dû voir les 10 000 décès supplémentaires puisque ces médicaments sont censés protéger surtout des attaques cardiaques – n’a pas augmenté en 2013. 

Le tabeau fait aussi apparaître qu’il y a eu moins d’infarctus mortels non seulement par rapport à 2012 (comme le montre le tableau) mais aussi par rapport à la moyenne des 4 années précédentes (35 200). Les arrêts des traitements par statines ont-ils sauvé des vies ? Les auteurs font remarquer que 1200 vies ont été épargnées en 2013 par rapport à 2012 et 1800 vies  par rapport à la moyenne des années 2009 à 2012.
Si on considère que les chiffres de l’Assurance-Maladie concernant les arrêts de statines en 2013 [12% contre environ 8% dans les années précédentes, donc une augmentation non négligeable de 50%] sont réalistes il ne semble pas que les arrêts de statines (ou les déprescriptions) ont eu les effets négatifs annoncés par les défenseurs des statines. Au contraire, il faudrait constater que plus de 2000 décès cardiovasculaires ont été épargnés au total. Les données préliminaires de l'INSEE pour 2014 suggèrent que la mortalité est très proche de celle de 2013, confirmant une lente diminution.

Changer de mode de vie : des bénéfices immédiats

Prescrire (et attendre qu’un traitement exerce ses effets éventuels bénéfiques) et déprescrire (arrêter un médicament) sont deux choses très différentes. L’exemple des statines est évocateur. On peut penser, écrivent les auteurs, qu’une partie des patients qui arrêtent leur statine en 2013 sous l’influence de la controverse ont aussi compris que modifier son mode de vie était probablement plus efficace et moins dangereux que prendre des médicaments. 

Par exemple, certains ont pu comprendre que l’exercice physique (de léger à modéré) était protecteur, notamment contre l’infarctus et les complications souvent fatales de l’infarctus. L’effet dit préconditionnant du myocarde par l’exercice physique peut s’observer très rapidement, donc dans les délais courts (quelques semaines) décrits dans l’étude bordelaise sur l’année 2013. Considérant que les statines provoquent des douleurs musculaires, de la fatigue générale, du diabète et des insomnies (les deux derniers augmentant encore la fatigue), l’arrêt des statines a pu aider un nombre significatif de patients à reprendre un exercice physique salvateur

Certains patients ont aussi pu se dire qu’en même temps qu’ils arrêtent leur statine, ils pourraient essayer d’améliorer leurs habitudes alimentaires. Sachant qu’un déficit en oméga-3 augmente le risque d’arythmies malignes et de mort subite et que les statines contribuent à aggraver les déficits en oméga-3, il est possible que certains patients aient corrigé leur déficit en oméga-3 en remplaçant très simplement chaque semaine un plat de viande par un plat de poisson gras ; en même temps qu’ils stoppaient leur statine.

D’autres patients, ou les mêmes, peuvent aussi avoir compris que finalement les statines ne protègent pas des complications de la cigarette et aient pris la décision de stopper le tabac en même temps qu’ils stoppaient la statine. Le tabac est un puissant vasoconstricteur et stimule la réactivité plaquettaire donc la tendance à faire des caillots dans les artères ; et ces effets sont visibles dans les minutes qui suivent l’inhalation de la nicotine. Autrement dit, les effets bénéfiques de l’arrêt du tabac (concomitants de l’arrêt de la statine) sont presque immédiats.

Tous ces mécanismes pourraient expliquer qu’au moment des controverses sur les statines on ait pu observer une diminution de la mortalité cardiovasculaire surtout par infarctus du myocarde.

Le dossier des statines et de leur continuation ou pas reste cependant ouvert et d'autres travaux devraient permettre de préciser les effets réels (positifs ou pas) de l'arrêt de ces médicaments sur la mortalité.

 

Pour aller plus loin : le site du Dr Michel de Lorgeril


*Michel de Lorgeril est médecin, expert international en cardiologie et nutrition, chercheur statutaire au CNRS et membre de la Société Européenne de Cardiologie. Dernier livre paru : L’horrible vérité sur les médicaments anticholestérol.

**Philippe Even est ancien professeur de thérapeutique et doyen, université Paris Descartes. Dernier livre paru : Corruptions et crédulité en médecine.

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