Cancer : qu'est-ce que le traitement alcalinisant ?

Par Didier Souccar - Pharmacien Publié le 30/08/2022 Mis à jour le 30/08/2022
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Dans un article récent, des chercheurs posent les principes d'un traitement alcalinisant du cancer. Selon eux, cette approche qui associe diététique et médicaments pourrait renforcer l’efficacité des traitements. Que faut-il en penser ?

Notre expert : le Dr Laurent Schwartz, auteur de Les Clés du cancer

Dans un article récent, des chercheurs japonais de l’université de Kyoto posent les principes d’un traitement du cancer complémentaire des thérapies classiques (chimio- et radiothérapie) : le traitement alcalinisant. Selon eux, cette approche, qui consiste à apporter à l'organisme des éléments basifiants (alimentation et médicaments) ne comporte pas de risques et pourrait renforcer l’efficacité des traitements. Ils décrivent également les cas de plusieurs patients traités avec succès.

Nous expliquons ici les bases du traitement alcalinisant, en quoi il consiste, quels sont ses effets, ses limites et ses risques éventuels.

Pour en savoir plus sur l'équilibre acide-base, lire cet article, et le livre de la diététicienne Florence Piquet.

L'équilibre acide-base

Pour être fonctionnel, notre organisme doit se situer dans une zone de pH équilibré, ni trop bas (acide), ni trop élevé (basique ou alcalin). Le sang est légèrement basique, avec un pH compris entre 7,35 et 7,45.

Le pH de l'organisme est influencé par notre alimentation, car elle apporte des éléments acidifiants et des éléments alcalinisants. Depuis le Néolithique, et le recul des légumes, feuiles et fruits riches en potassium, l’alimentation est devenue globalement acidifiante, un phénomène accentué ces derniers siècles en Occident par une consommation élevée de céréales, viandes, laitages, et sel. Un excès d'éléments acidifiants peut théoriquement conduire à un déséquilibre appelé acidose chronique.Cependant, le corps a des systèmes de régulation de l'équilbre acide-base qui passent surtout par les poumons et les reins. Les problèmes peuvent apparaître lorsque la fonction rénale baisse, avec l'âge. Dans ce cas, le corps peut se trouver dans une légère acidose chronique, qui peut être cependant contrecarrée par un régime alcalinisant et le cas échéant la prise de bicarbonate, calcium, magnésium.

La question de l'équilibre acide-base est également étudiée dans le cancer, mais pas en lien avec la fonction rénale, au niveau cellulaire : les cellules cancéreuses étant alcalines, dans un environnement acide. Cela ne signifie pas qu'une alimentation acidifiante conduit au cancer, mais que le comportement des cellules cancéreuses modifie leur pH.

Les bases du traitement alcalinisant du cancer

Le point de départ du traitement alcalinisant, ce sont les observations de l’Allemand Otto Warburg qui a étudié le métabolisme du cancer et reçu en 1931 le Prix Nobel de physiologie et médecine pour avoir découvert que les cellules cancéreuses n’utilisent pas d’oxygène pour se procurer de l’énergie et donc sécrètent de l’acide lactique.

Warburg a publié un article en 1956 dans Science sous le titre 'De l'origine des cellules cancéreuses'. Warburg y démontre l’que l’oxygène ne peut être utilisé par la cellule cancéreuse et que cela joue un rôle dans le développement des cancers. Que se passe-t-il lorsqu'il n'y a pas d'oxygène ? Les mitochondries, nos centrales énergétiques cellulaires qui brûlent les nutriments au contact de l’oxygène, fonctionnent mal : la cellule meurt asphyxiée. Warburg et d’autres ont observé que les cellules qui évitent la dégradation mitochondriale et choisissent de se procurer leur énergie grâce à la fermentation du glucose ou glycolyse, sont des « cancers ». 

Des chercheurs comme l’Américain Thomas Seyfried et le Français Laurent Schwartz estiment aujourd’hui que le cancer n'est pas causé seulement par une anomalie génétique mais surtout qu'il s'agit d'une maladie métabolique mitochondriale. Ces chercheurs insistent sur l’importance  de traiter le cancer comme une maladie métabolique. 

Pourquoi faudrait-il alcaliniser le corps ?

Lorsque les cellules cancéreuses commencent à vivre de la glycolyse, leur pH extracellulaire est toujours acide. En revanche, le pH intracellulaire des cellules normales est alcalin (basique).  

Étant donné que les cellules cancéreuses qui vivent par glycolyse génèrent de grandes quantités de protons (H +), elles activent un mécanisme pour expulser les protons de la cellule afin de maintenir le pH intracellulaire alcalin, ajoute le Dr Hiromi Wada, de l’université de Kyoto, et l’un des auteurs de l’article de synthèse. « En conséquence, dit-il, le microenvironnement tumoral (MET) devient acide. De plus, on sait que le pH acide extracellulaire et le pH alcalin intracellulaire des cellules cancéreuses induisent des métastases accrues, une résistance aux médicaments et une suppression de la surveillance immunitaire. » 

Par exemple dans des expériences de culture de cellules de cancer du poumon humain, une augmentation de 0,4 du pH intracellulaire était associée à une augmentation du niveau de résistance de la tumeur à la doxorubicine multiplié par 2000, ainsi que la prolifération des cellules cancéreuses et des métastases.

La régulation de cette alcalinisation intracellulaire et de l’acidification du microenvironnement extracellulaire pourrait jouer un rôle dans le traitement du cancer, estime le Dr Wada.

Le traitement alcalinisant

Pour le Pr Hiromi Wada, les traitements anticancéreux actuels laissent souvent le micro-environnement tumoral ou MET acide, ce qui entraîne une faible efficacité thérapeutique et des effets secondaires graves. « Par conséquent, dit-il, notre thérapie d'alcalinisation vise à transformer le MET acide en alcalin. Nous utilisons des interventions diététiques alcalinisantes et l'administration orale ou intraveineuse de médicaments comme les inhibiteurs de la pompe à protons (IPP) qui alcalinisent le corps. »

Sachant qu’il n’est pas possible de mesurer pratiquement le pH du MET, ces cliniciens utilisent le pH de l'urine comme indicateur de substitution. « La raison en est, dit le Dr Wada, que, grâce à notre pratique clinique, nous avons constaté que l'urine de la plupart des patients qui ont obtenu une rémission a un pH alcalin compris entre 7,5 et 8. »

Les objectifs du traitement alcalinisant seraient donc d'atteindre (1) un pH urinaire de 7,5 à 8,0 ou plus, (2) un taux de CRP (marqueur de l’inflammation) de 0,05 ou moins, (3) un rapport neutrophiles/lymphocytes de 2,0 ou moins (1,5 si possible) et un nombre de lymphocytes de 1 500 à 2 000 ou plus. 

Quels effets du traitement alcalinisant ?

Il existe quelques études sur les inhibiteurs de la pompe à protons (IPP) en tant que traitement de repositionnement des médicaments ciblant le MET acide. Plusieurs études in vivo et in vitro ont montré que l'association d'IPP et de chimiothérapie améliore les réponses hérapeutiques. De plus, des études précliniques sur des lignées de cellules tumorales humaines ont rapporté que l'administration d'IPP seul, sans chimiothérapie, induisait l'apoptose des cellules cancéreuses (mort cellulaire) et produisait des effets anticancéreux. 

Des études épidémiologiques ont également suggéré que l'utilisation d'IPP pourrait prévenir le développement du cancer du sein. Bien que les études cliniques soient peu nombreuses, trois patients atteints de carcinome colorectal avancé ont été traités avec des IPP à forte dose en association avec une chimiothérapie et ont rapporté des résultats favorables. De plus, pour les patientes atteintes d'un cancer du sein métastatique, il a été rapporté que l'association de la chimiothérapie et de l'IPP prolongeait de manière significative le temps jusqu'à la progression et la survie globale par rapport à la chimiothérapie seule. 

D'autre part, plusieurs études chez l’animal ont également montré que l'alcalinisation systémique d’agents alcalinisants comme bicarbonate ou citrate inhibe la progression tumorale.

Les auteurs de l’article rapportent plusieurs cas de patients améliorés par le traitement alcalinisant.

Cependant, on ne dispose pas d’essai clinique de qualité pour affirmer que cette approche, complémentaire des traitements classiques, améliore significativement la survie et la qualité de vie par rapport à la seule radiothérapie ou chimiothérapie. 

Par ailleurs le Dr Laurent Schwartz pense que les effets éventuellement positifs du traitement ne sont pas nécessairement dus à l’alcalinisation. « Prendre du bicarbonate a certes un effet sur le pH mais son mécanisme d’action n’est pas là. Souvenez-vous des blagues d’enfants. Du bicarbonate dans le Coca-Cola acide et une éruption de bulles. Ces bulles sont du gaz carbonique. Le bicarbonate va réagir avec l’acide en milieu extracellulaire pour créer du gaz carbonique. Ce gaz carbonique est un gaz asphyxiant qui est toxique pour la cellule tumorale adjacente. »

La difficulté fondamentale du traitement alcalinisant

Le Dr Laurent Schwartz est très réservé sur un traitement diététique alcalinisant. Le pH de la cellule tumorale est certes anormal, dit-il. « Il est acide à l’extérieur de la cellule et alcalin à l’intérieur. Il faut donc corriger ce pH acide mais aussi alcalin à l’intérieur de la cellule. Certains médicaments peuvent faire les deux. Donner des inhibiteurs de la pompe à protons va normaliser le pH intracellulaire et extracellulaire. Donné à bonne dose la cellule s’arrêtera de croître. Je suis beaucoup plus sceptique sur les régimes alcalinisants que je trouve risqués en cas de cancer. Rien ne serait pire que d’alcaliser plus encore le pH intracellulaire et par là stimuler la croissance du cancer. »

Si vous êtes soigné(e) pour un cancer, consultez l'équipe médicale avant d'initier des changements alimentaires ou modifier votre traitement.

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