Coenzyme Q10 : le traitement inconnu des cardiologues

Par Thierry Souccar - Journaliste et auteur scientifique, directeur de laNutrition.fr Publié le 02/05/2006 Mis à jour le 17/12/2018
Point de vue

Une substance naturelle, la coenzyme Q10 peut dans certains cas améliorer les insuffisants cardiaques. Mais les médecins français n’en ont jamais entendu parler. Un utilisateur de cette substance se bat depuis 4 ans pour mieux la faire connaître.

12 août 2003

La première fois que Léon Mader m’a écrit, c’était il y a trois ans, pour me remercier d’avoir parlé de la coenzyme Q10 dans Sciences et Avenir, et des expériences qui en faisaient un espoir pour les insuffisants cardiaques.

Léon souffre d’insuffisance cardiaque avec rétention d’eau dans les bronches. Au début de l’année 1999, il vient de faire quatre oedèmes pulmonaires. En mars de cette année-là paraît cet article sur la coenzyme Q10. Les pharmaciens français ne connaissent pas, alors Léon Mader en achète à l’étranger par correspondance. Et commence à en prendre 100 mg par jour, pour voir. « Mon rendement cardiaque, dit-il, était de 30 % ; après trois mois de prise de Coenzyme Q10 mon rendement cardiaque est passé à 48%. C’est seulement après ce contrôle que j’ai informé mon cardiologue, qui m’a conseillé de continuer.»

700 000 malades

Il y aurait en France 700 000 insuffisants cardiaques. 120 000 nouveaux cas sont recensés chaque année. L’insuffisance cardiaque peut faire suite à un infarctus, mais dans de nombreux cas elle apparaît chez des personnes qui n’ont pas eu d’infarctus. On trouve alors souvent un mauvais fonctionnement des valvules, une hypertension ou des troubles du ryhtme. L’insuffisance cardiaque se manifeste par un essoufflement, de l’épuisement, et comme c’est le cas pour Léon Mader, des oedèmes. Cette maladie est un casse-tête pour les cardiologues, qui n’avaient jusqu’à une date récente à leur disposition aucun traitement vraiment efficace, hormis la greffe. Ils prescrivaient des diurétiques pour tenter d’évacuer l’eau qui s’accumule parce que le cœur ne pompe plus suffisamment. Depuis, sont apparus notamment des inhibiteurs de l’enzyme de conversion de l’angiotensine, qui font baisser la tension artérielle, et des bêta-bloquants qui régulent le rythme cardiaque. Ils apportent des bénéfices incontestables, mais avec les années le cœur continue de s’affaiblir, et la mortalité reste élevée.

Léon Mader m’a écrit ces jours-ci : « C'est grâce à vous, commence-t-il, que j'ai découvert la coenzyme Q10. » Quatre ans se sont écoulés et il est stupéfait que les cardiologues ne connaissent toujours pas cette substance et qu’ils n’y aient pas recours. « J’en ai assez de cette inertie, » dit-il. Léon Mader a écrit aux laboratoires pharmaceutiques et à la Fédération française de cardiologie. Résultat : pas de réponse. « Tout le monde s’en fiche. »

Comment notre cœur se procure de l’énergie

Les étudiants en médecine apprennent brièvement l’existence de la coenzyme Q10 au détour d’un cours de biochimie sur la respiration cellulaire, le processus par lequel nous nous procurons de l’énergie en brûlant les résidus alimentaires au feu de l’oxygène. Puis ils n’ont plus vraiment l’occasion d’en entendre parler, sauf à recevoir comme moi le courrier de Léon Mader.

La respiration cellulaire peut être grossièrement comparée à la combustion de l’essence dans un moteur d’automobile après que le carburant ait été mis au contact de l’oxygène. En ce qui nous concerne, les aliments sont le carburant, et la fumée d’échappement, c’est du dioxyde de carbone et de l’eau. Les aliments sont des réservoirs d’électrons associés à de l’hydrogène. Si nous mettons le feu à du glucose (sucre), il brûle dans l’air en libérant environ 4 calories (kcal) par gramme. Mais la température du corps n’est pas assez élevée pour mettre le feu au glucose. Des enzymes spécialisées dans nos cellules nous aident à accomplir cette opération progressivement. Le glucose et d’autres carburants d’origine alimentaire sont désagrégés graduellement. A certains moments, des atomes d’hydrogène sont arrachés au glucose mais ils ne sont pas livrés directement à l’oxygène mais plutôt à une substance appelée NAD. Celui-ci va se délester des électrons de l’hydrogène en les confiant à une chaîne de transport qui va contrôler leur « chute » vers l’oxygène afin de libérer à chaque étape un peu d’énergie plutôt que de tout gâcher par une seule réaction explosive. Ainsi, les électrons tombent en cascade comme par gravité d’un transporteur à l’autre le long de la chaîne de transport. Au bout de la chaîne se trouve l’oxygène.

Cœur de bœuf

La chaîne de transport d’électrons est une collection de molécules que renferment les mitochondries, qui sont les centrales énergétiques de nos cellules. La plupart de ces transporteurs d’électrons sont des protéines, à l’exception du troisième maillon de la chaîne, l’ubiquinone, qui nous intéresse ici.
Les coenzymes Q ont été baptisées ubiquinones en 1955 par R. A. Morton, professeur de biochimie à l’université de Liverpool alors qu’il venait de les découvrir dans la graisse animale. Avec ce nom, Morton voulait faire comprendre que ces substances existent chez tous les êtres vivants, animaux, végétaux ou micro-organismes.

Chez l’homme, l’ubiquinone se présente le plus souvent comme une molécule dont l’une des chaînes latérales comporte 10 composés appelés isoprénoïdes (ces composés sont semblables à ceux que l’on trouve dans les aromates et les épices), d’où le nom de coenzyme Q10 (ou coQ10). Chez le rat, l’ubiquinone équivalente n’a que 9 isoprénoïdes : on l’appelle coenzyme Q9.

En 1957, Frederick Crane, un chercheur de l’université du Wisconsin (Madison), a isolé la coQ10 dans des mitochondries de cœur de bœuf. L’année d’après, le biochimiste Karl Folkers, qui travaillait alors chez le géant de la pharmacie Merck a déterminé sa formule exacte. Si vous vous intéressez à la nutrition, ayez s’il vous plaît une pensée pour Karl Folkers, disparu en 1997 à l’âge de 91 ans. On lui doit non seulement ces découvertes sur la coenzyme Q10, mais aussi des travaux majeurs sur les vitamines B6 et B12.

Fournisseur d’énergie et antioxydant

Folkers pensait que des suppléments de vitamines et de coenzyme Q10 peuvent aider à traiter des maladies chroniques comme l’insuffisance cardiaque. Le cœur est en effet l’un des organes les plus riches en coQ10, mais avec l’âge, un cœur en bonne santé en contient de moins en moins. Pour un cœur en mauvaise santé, c’est encore pire, comme l’a montré Karl Folkers en 1972. En fait, plus l’insuffisance cardiaque est marquée, plus le niveau de coQ10 est bas, probablement parce que cette substance est surutilisée, et que l’organisme ne parvient pas à en fabriquer des quantités adéquates.

La coQ10 est d’autant plus intéressante pour le cœur qu’elle se comporte, lorsqu’elle a reçu deux électrons, en antioxydant. La coQ10 sous forme de supplément, se disait Folkers, devrait pouvoir améliorer la respiration cellulaire des insuffisants cardiaques, donc la production d’énergie tout en diminuant le niveau des radicaux libres dans les mitochondries des malades.

Des études prometteuses...

La coQ10 a été donnée depuis 1973 à des insuffisants cardiaques dans des études cliniques qui visaient à évaluer ses effets réels. Les premières études ont montré que les suppléments de coQ10 améliorent le rendement cardiaque et la mortalité. Mais ces études ne sont pas jugées de très bonne qualité, soit parce qu’il n’existait pas de groupe placebo, soit parce qu’il n’y a pas eu de vrai double aveugle. Malgré tout, l’une des plus impressionnantes a duré 8 ans et inclus 180 patients dont une partie a pris 100 mg de coQ10 chaque jour en plus de leur traitement conventionnel. La survie a été infiniment meilleure dans le groupe qui prenait la coQ10 : 75 %, 65 % et 47 % à un, deux et trois ans respectivement, à comparer à 54 %, 26 % et 1 % dans le groupe contrôle.

A partir de 1985, des études contre placebo en double aveugle ont été mises sur pied. Langsjoen a montré que la coQ10 améliore le rendement cardiaque sur un petit nombre de patients. D’autres études conduites par Poggesi, puis Morisco sur des groupes de 20 malades ont elles aussi trouvé une amélioration du rendement cardiaque. Une étude conduite par Judy sur 14 malades a elle aussi conclu à une amélioration du rendement cardiaque après un traitement de 180 jours avec de la coQ10. Plus intéressant, après 60 jours, la mortalité a été divisée par 3 dans le groupe traité. Malheureusement, dans cette étude, les patients du groupe placebo étaient dès le départ en moins bonne santé que les patients du groupe traité ; il est donc très difficile d’apprécier la contribution réelle de la coQ10.

La plus importante étude clinique en double aveugle contre placebo a été publiée en 1993. 319 patients ont reçu de la coQ10 (2 mg/kg/j) et 322 une pilule dénuée d’effet. Le taux d’hospitalisations a été divisé par deux dans le groupe traité. Dans ce groupe, on a aussi relevé moins d’oedèmes pulmonaires et d’asthme cardiaque. En revanche, il n’y a eu aucune différence de mortalité entre les deux groupes.
Hofman-Bang a suivi 79 patients au cours de périodes de trois mois selon un protocole alternant coenzyme Q10 et placebo. Dans cette étude, le rendement cardiaque n’a pas été amélioré par la coQ10 mais la capacité à l’effort a modestement augmenté, de même que la qualité de vie.

Permanetter a publié en 1992 une étude négative avec la coQ10 : par rapport au placebo, il n’a relevé aucun bénéfice dans le groupe de patients qui prenait cette molécule.

... mais pas confirmées

Toutes ces études ont été conduites avant l’introduction des traitements standards à base d’inhibiteurs de l'enzyme de conversion de l'angiotensine (inhibiteurs ACE) et de bêta-bloquants. Depuis, deux études ont évalué les effets de la coQ10. Watson n’a trouvé aucun bénéfice d’un supplément de coQ10 (1 000 mg/j) pendant 3 mois dans une étude sur 30 patients. Khatta a testé en 2000 un placebo ou de la coQ10 sur 55 patients pendant 6 mois. Tous prenaient parallèlement de la digoxine et des inhibiteurs ACE et 18 un béta-bloquant. La coQ10 n’a apporté aucun bénéfice supplémentaire à cette population de patients cardiaques bien traités.

Alors que les premières études sont clairement en faveur de la coQ10, les bénéfices sont moins clairs avec des études en double aveugle contre placebo. Parce que celles-ci sont plus précises, mieux conduites, l’Association américaine de cardiologie s’est basée sur ces travaux pour conclure récemment que la coQ10 ne pouvait être recommandée dans le traitement de l’insuffisance cardiaque. Mais on peut aussi reprocher à ces études récentes leur durée, qui n’a pas excédé une année. Enfin, le fait que les patients aient continué de prendre leur traitement conventionnel ne permet pas à mon sens de conclure formellement dans un sens ou dans l’autre.

Il est pour l'instant impossible de recommander la coenzyme Q10 à l’ensemble des insuffisants cardiaques, mais cela ne veut pas dire qu’elle n’améliorera pas individuellement l’état de santé de ceux qui l'essaieront, comme elle l’a fait pour Léon Mader. Elle peut aussi aider à diminuer les doses des médicaments classiques. La décision de commencer un traitement avec la coQ10 doit être prise en concertation avec le cardiologue, qui s’assurera que l’état de santé évolue favorablement pendant le traitement. La coenzyme Q10 paraît dénuée d’effets indésirables.

Je voudrais profiter de cet article pour mentionner deux effets de la coQ10 peu connus en France, qui intéresseront les cardiologues et leurs patients. D’abord, un traitement par statines fait baisser le niveau de coenzyme Q10, ce qui pourrait expliquer les myopathies observées chez certaines personnes qui prennent ces médicaments contre le cholestérol élevé. Par ailleurs, Franklin Rosenfeldt, un chercheur australien, a montré qu’en donnant un supplément de coQ10 à des patients avant une intervention chirurgicale cardiaque, on améliore la fonction cardiaque post-chirurgicale, on réduit les dommages au myocarde et on diminue la durée d’hospitalisation.

Où la trouver ?

On trouve de la coenzyme Q10 dans les abats, le bœuf, les sardines, le maquereau, les cacahuètes, l’huile de soja. Le corps en fabrique aussi à partir de l’acide aminé tyrosine, avec l’aide de 8 vitamines, pas moins (B2, B3, B5, B6, C, B9 B12). Il faut donc veiller à ne pas manquer, ce qui est facile si l’on prend un complément quotidien.

En France, la coenzyme Q10 est considéré comme médicament orphelin (sans AMM) pour certaines indications. Elle est importée et délivrée par la pharmacie centrale de l’hôpital dont vous dépendez (en général, CH ou CHU, ou AP si vous habitez Paris) au vu d’une autorisation temporaire d’utilisation demandée par le médecin traitant selon un formulaire détaillé (décret 94-568 du 8 juillet 1994). La demande d’ATU doit être adressée plusieurs jours, voire plusieurs semaines avant le début du traitement, car un avis est demandé à la Direction générale de la santé. Elle est disponible aussi toutefois sous forme de compléments alimentaires en vente libre.

Léon Mader m’informe qu’il se procure ainsi de la coQ10 à la dose de 150 mg par jour. « Je me porte à merveille, » ajoute-t-il.

Lire aussi : Avez-vous besoin de CoQ10 pour votre cœur ?

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