Éradiquer Helicobacter pylori, un moyen efficace de prévenir le cancer de l'estomac

Par Juliette Pouyat - Journaliste scientifique Publié le 14/04/2020 Mis à jour le 14/04/2020
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Éliminer complètement la bactérie Helicobacter pylori permettrait de diviser par deux le risque de cancer de l’estomac chez les personnes en bonne santé comme chez celles à risque élevé de ce cancer. 

Actuellement, l’incidence du cancer de l’estomac diminue et même s’il est devenu rare dans certaines populations (1), il représente encore la troisième cause de décès par cancer dans le monde et touche désormais plus de personnes jeunes (moins de 50 ans). En 2017, plus de 850 000 personnes sont décédées d’un cancer de l’estomac et les scientifiques estiment qu’1 homme sur 33 et 1 femme sur 78 développeront la maladie au cours de leur vie. 
Ce type de cancer est généralement découvert tardivement lorsque le pronostic vital du patient est engagé. Il est donc essentiel d’agir par la prévention. Parmi ses facteurs de risque on trouve l’alimentation (trop de sel, charcuteries…), l’alcool en excès, le surpoids, le tabac, l'exposition à des produits chimiques industriels... mais surtout l'infection à Helicobacter pylori. Cette infection bactérienne serait ainsi impliquée dans 80 % des cancers de l’estomac.  Aujourd'hui les autorités de santé préconisent son éradication afin de prévenir ce cancer. Que disent les études de l'efficacité de cette mesure ?

Helicobacter pylori : un facteur de risque établi

H. pylori colonise l’estomac – et notamment la muqueuse gastrique – d’environ 50% de la population mondiale. Il s’agit ainsi de l’infection bactérienne chronique la plus répandue. Comme elle perturbe l’équilibre du mucus qui protège normalement la paroi de l’estomac, la muqueuse se retrouve « attaquée » par l’acidité de l’estomac. H. pylori est donc à l’origine de gastrites chroniques et d’ulcères. Chez certaines personnes, cela peut aboutir au développement d’un carcinome. C’est pourquoi H. pylori est classée comme un carcinogène pour l’homme par la Centre International de Recherche sur le Cancer (CIRC) qui avait recommandé le dépistage et le traitement de cette bactérie pour réduire l’incidence du cancer de l’estomac. Mais cette recommandation n’a pas vraiment été suivie même si les études existantes vont dans son sens.

Les études

Dans une étude publiée en 2013, une communauté avec un taux annuel de mortalité due au cancer de l’estomac 3 fois supérieur à celui du reste du pays, a été soumise à un programme d’éradication de la bactérie H. pylori (2). Résultats : par rapport aux 4 années précédant l’intervention, les chercheurs ont trouvé une réduction de 25% de l’incidence du cancer de l’estomac après le traitement d’éradication. Il semble que l’incidence initiale du cancer de l’estomac dans la population étudiée influence les bénéfices obtenus par cette éradication (3). 

Une autre étude menée en 2014 rapporte d’ailleurs qu’éradiquer H. pylori chez des personnes infectées mais en bonne santé par ailleurs permet de réduire – de façon modeste – l’incidence du cancer de l’estomac mais pas la mortalité liée à ce cancer (4). L’impact de l’éradication de H. pylori aurait peut-être été plus important dans une population à risque élevée de développer un cancer de l’estomac.

C’est ce qu’ont voulu vérifier des chercheurs dans une nouvelle étude publiée dans la revue Gut (5). Ils ont utilisé de nouvelles données parues dans la littérature scientifique pour mettre à jour l’étude de 2014 afin d'évaluer en plus l’impact de la thérapie d’éradication de la bactérie H. pylori sur le risque de cancer de l’estomac chez des patients avec une néoplasie gastrique (dysplasie ou cancer gastrique précoce). Les chercheurs ont analysé les données de 10 essais cliniques : 7 regroupant 8323 individus en bonne santé, 3 regroupant 1841 patients avec une néoplasie gastrique et ayant subi une résection muqueuse endoscopique. Dans les études, le suivi est de minimum 3 ans après l’intervention peut aller jusqu’à 22 ans. 

Parmi les individus en bonne santé, la thérapie d’éradication d'H. pylori permet de réduire de 46% l’incidence du cancer de l’estomac et de 39% la mortalité due au cancer de l’estomac – par rapport aux personnes ayant reçu un placebo ou aucun traitement – mais n’impacte pas la mortalité toutes causes. Chez les participants avec une néoplasie gastrique et donc à plus haut risque, l’éradication d’Helicobacter permet également de réduire l’incidence du cancer de l’estomac de 51%

Un dépistage systématique ?

Ces résultats plaident en faveur d’un dépistage – et d’un traitement le cas échéant – de H. pylori, chez les personnes en bonne santé et a fortiori chez celles avec une néoplasie gastrique, afin de réduire l’incidence du cancer de l’estomac. Les chercheurs expliquent qu’une fois que la bactérie a été éradiquée avec succès, il est peu probable d’être infecté une deuxième fois. C’est donc un avantage car contrairement à d’autres types de cancers, le dépistage pourrait ainsi n'avoir lieu qu’une seule fois dans la vie.  

Il faut également savoir que généralement l’infection à H. pylori est contractée pendant l’enfance, entre 6 et 15 ans. Cela signifie que pour éviter la progression d’évènements pré-cancéreux vers un cancer de l’estomac, le dépistage pourrait avoir lieu chez les adolescents ou chez les jeunes adultes. C’est d’ailleurs ce qui est actuellement réalisé dans certaines régions du Japon mais les effets de ce dépistage et de l’éradication de H. pylori ne seront pas connus avant de nombreuses années (6). 

Le traitement d'H. pylori

Actuellement, la Haute autorité de santé (HAS) recommande, en cas d'infection par Helicobacter pylori, de tester la sensibilité de la bactérie aux antibiotiques, notamment la clarithromycine, avant de démarrer tout traitement.
Puis :
- En cas de sensibilité à la clarithromycine, prescription d’une trithérapie associant un inhibiteur de la pompes à proton (IPP), l'amoxicilline et la clarithromycine pendant 10 jours.
- En cas de résistance à la clarithromycine, prescription d’une trithérapie associant un IPP, de l'amoxicilline et de la lévofloxacine si souche sensible pendant 10 jours.
- À défaut, prescription d’une quadrithérapie « avec bismuth » associant oméprazole, sel de bismuth, tétracycline et métronidazole pendant 10 jours.

Si le test de sensibilité n'a pas pu être réalisé, la HAS recommande deux traitements, au choix :

  • Une quadrithérapie « concomitante » de 14 jours associant un IPP, l’amoxicilline, la clarithromycine et le métronidazole. 
  • Une quadrithérapie « avec bismuth » de 10 jours associant l’oméprazole avec un sel de bismuth, la tétracycline et le métronidazole. Cette dernière est à privilégier en cas de prise antérieure de macrolide ou d’allergie à l’amoxicilline.

Dans tous les cas, on le voit, le traitement est relativement court. Il se peut toutefois qu'il ne soit pas efficace et qu'il doive être réévalué. 4 semaines après la fin du traitement, le patient doit en effet être testé afin d'évaluer si la bactérie a été éradiquée. En pratique, ce n'est pas toujours fait, et cela peut contribuer à une mauvaise prévention du cancer de l'estomac.

Après le traitement, prendre des vitamines et de l'ail semble aider aussi à mieux prévenir le cancer gastrique.

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Références
  1. Arnold M, Park JY, Camargo MC, Lunet N, Forman D, Soerjomataram I. Is gastric cancer becoming a rare disease? A global assessment of predicted incidence trends to 2035. Gut. 2020 Jan 30. pii: gutjnl-2019-320234.

  2. Lee YC, Chen TH, Chiu HM, Shun CT, Chiang H, Liu TY, Wu MS, Lin JT. The benefit of mass eradication of Helicobacter pylori infection: a community-based study of gastric cancer prevention. Gut. 2013 May;62(5):676-82.

  3. Lee YC, Chiang TH, Chou CK, Tu YK, Liao WC, Wu MS, Graham DY. Association Between Helicobacter pylori Eradication and Gastric Cancer Incidence: A Systematic Review and Meta-analysis. Gastroenterology. 2016 May;150(5):1113-1124.e5.

  4. Ford AC, Forman D, Hunt RH, Yuan Y, Moayyedi P. Helicobacter pylori eradication therapy to prevent gastric cancer in healthy asymptomatic infected individuals: systematic review and meta-analysis of randomised controlled trials. BMJ. 2014 May 20;348:g3174.

  5. Ford AC, Yuan Y, Moayyedi P. Helicobacter pylori eradication therapy to prevent gastric cancer: systematic review and meta-analysis. Gut. 2020 Mar 23. pii: gutjnl-2020-320839.

  6. Kakiuchi T, Matsuo M, Endo H, Nakayama A, Sato K, Takamori A, Sasaki K, Takasaki M, Hara M, Sakata Y, Okuda M, Kikuchi S, Eguchi Y, Takahashi H, Anzai K, Fujimoto K.  A Helicobacter pylori screening and treatment program to eliminate gastric cancer among junior high school students in Saga Prefecture: a preliminary report. J Gastroenterol. 2019 Aug;54(8):699-707.

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