La phagothérapie, un espoir pour lutter contre les bactéries résistantes

Par Marie-Céline Ray - Journaliste scientifique Publié le 10/08/2018 Mis à jour le 13/08/2018
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L’utilisation de phages, des virus "tueurs de bactéries" pour soigner des infections bactériennes, a été imaginée il y a une centaine d’années par Félix d’Hérelle en France. Aujourd’hui quasiment absente dans la plupart des pays occidentaux, elle est toujours pratiquée avec succès en Géorgie.

Qu’il s’agisse d’infections nosocomiales, urinaires, respiratoires, dermiques, etc, partout, les bactéries font de la résistance : les « superbugs » comme les appellent les Anglo-Saxons, ces bactéries multirésistantes, deviennent un véritable casse-tête thérapeutique car elles mettent en échec les traitements antibiotiques.  

Pourtant les antibiotiques n’ont pas toujours été les seuls médicaments utilisés pour traiter des infections bactériennes. Il existe une autre méthode mise au point il y a une centaine d’années en France et tombée dans l’oubli pendant de longues décennies : la phagothérapie. Celle-ci utilise des prédateurs naturels des bactéries, les phages, c'est-à-dire des virus qui tuent les bactéries.

En raison des graves problèmes de résistance aux antibiotiques, la phagothérapie suscite aujourd’hui un regain d’intérêt. Des essais cliniques sont en cours et différents laboratoires dans le monde se sont emparés de ce sujet.

Lire aussi notre article sur l'utilisation des phages contre la bactérie Clostridium difficile

Les phages, des prédateurs naturels des bactéries

Les phages, ou bactériophages, sont, comme leur nom l’indique, des virus « mangeurs de bactéries ». Ils ont été découverts par deux chercheurs, indépendamment : le britannique Frederick Twort en 1915 et le franco-canadien Félix d’Hérelle en 1917. Si Frederick Twort n’a pas poursuivi ses travaux sur les bactériophages, Félix d’Hérelle a rapidement compris l’intérêt médical de sa découverte et inventa dans la foulée la phagothérapie pour traiter des infections.

George Eliava, le médecin géorgien qui a créé l’Institut de phagothérapie de Tbilissi qui porte son nom, a travaillé dans le laboratoire de Félix d’Hérelle à l’Institut Pasteur de Paris. L’Institut Eliava est aujourd’hui une référence mondiale dans le traitement d’infections par des phages.

Les bactériophages ont pour avantage d’être spécifiques de leur bactérie cible : ils ne risquent donc pas de s’attaquer à de « bonnes » bactéries du microbiote, comme le feraient par exemple des antibiotiques qui ont une action bien moins ciblée. De plus, les phages sont des virus naturellement présents dans le milieu : ils abondent dans les égouts ! Ils sont présents partout où vivent des bactéries, même dans notre microbiote.

Il existe deux types de phages :

  • les phages lytiques, qui infectent la bactérie, détournent la machinerie cellulaire pour se reproduire et tuent la bactérie en la faisant exploser, libérant des dizaines de « bébés phages »,
  • les phages tempérés, qui installent leur génome dans celui de la bactérie et restent en dormance.

La phagothérapie utilise uniquement des phages lytiques, ceux qui détruisent la bactérie.

En pratique

Dans les années 1940, l’avènement des antibiotiques dans les pays d’Europe occidentale a fait perdre beaucoup de terrain à la phagothérapie ; mais celle-ci a continué à être utilisée dans des pays de l’ancien bloc soviétique, comme la Russie, la Pologne et la Géorgie. En France, les préparations de phages étaient toujours inscrites dans le Vidal jusqu’au début des années 1970. Des médecins hospitaliers, comme Alain Dublanchet au centre hospitalier de Villeneuve-Saint-Georges, ont continué à la pratiquer à titre compassionnel jusque récemment. En 2017, deux patients ont été soignés par phagothérapie aux hospices civils de Lyon, grâce à des phages produits par la société Pherecydes Pharma.

Aujourd’hui, les patients français n’ont pour l’instant pas accès à la phagothérapie, sauf à titre compassionnel, dans des cas particuliers où les patients risquent de mourir ou de se faire amputer. Cependant, certains malades chez qui les traitements antibiotiques ne fonctionnent plus se tournent vers la Géorgie où des médecins continuent de pratiquer la phagothérapie. Une association, Phages sans frontières, apporte un soutien aux patients.

Pour aller plus loin sur les infections : Infections, le traitement de la dernière chance

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