Le dépistage systématique du cancer sauve-t-il des vies ?

Par Thierry Souccar - Journaliste et auteur scientifique, directeur de laNutrition.fr Publié le 11/09/2023 Mis à jour le 12/09/2023
Enquête

Cinq des six tests de dépistage du cancer couramment pratiqués, dont la mammographie, ne semblent pas diminuer la mortalité toutes causes.

Une revue systématique et une méta-analyse d’études portant sur près de 2,1 millions de patients montrent qu'à l'exception éventuelle du dépistage du cancer colorectal par sigmoïdoscopie, "les preuves actuelles ne justifient pas l'affirmation selon laquelle les tests de dépistage du cancer courants sauvent des vies en prolongeant la durée de vie". L'étude a été conduite par des chercheurs de l’université d’Oslo (Norvège).

Leur étude englobait 18 essais cliniques randomisés à long terme (plus de neuf ans de suivi) : quatre essais cliniques randomisés sur le dépistage par sigmoïdoscopie, quatre sur les tests fécaux pour le cancer colorectal, quatre sur le dépistage du PSA pour le cancer de la prostate, trois sur le dépistage du cancer du poumon par tomodensitométrie chez les fumeurs, deux sur la mammographie pour le cancer du sein et un sur la coloscopie pour le cancer colorectal.

Résultats : les femmes qui se soumettent à une mammographie de dépistage ne semblent pas vivre significativement plus longtemps que celles qui n’en pratiquent pas. Le même constat est fait pour la recherche de sang dans les selles pour le cancer du côlon. Les bénéfices de ces tests sont qualifiés d’"improbables".

En ce qui concerne le test de l'antigène prostatique spécifique (PSA) dans le dépistage du cancer de la prostate, la coloscopie et le dépistage du cancer du poumon par tomodensitométrie, les estimations sont "incertaines", selon les auteurs.

Pour ces cinq tests, disent-ils, les preuves suggèrent que la plupart des personnes qui s’y soumettent n’auront aucun gain de longévité.

Le dépistage du cancer du côlon par sigmoïdoscopie est le seul test de dépistage présentant un gain significatif de durée de vie (environ 3 mois).

Les auteurs précisent que même s'ils n'ont pas observé que cinq des six tests de dépistage conduisent à un gain significatif d’espérance de vie, certaines personnes pourraient bénéficier du dépistage alors que dans le même temps, d’autres personnes voient leur espérance de vie en raison des dommages associés au dépistage ou aux traitements des cancers détectés, comme la perforation du côlon lors d’une coloscopie ou l’infarctus du myocarde après une prostatectomie radicale.

Les auteurs de cette étude abordent également la question de la qualité de vie, indiquant que les données sont difficiles à interpréter mais que celles portant sur le dépistage par mammographie en Norvège laissent penser que la qualité de vie est diminuée. Pour la Dre Cécile Bour, auteure de Mammo ou pas mammo, "Certaines lésions peuvent rester latentes, évoluer lentement, ou trop lentement pour mettre les femmes en danger, parfois même régresser ; mais leur détection entraîne de facto leur traitement. Le surdiagnostic, c'est donc une détection inutile d'une lésion n'apportant aucun bénéfice pour la femme mais conduisant à un surtraitement qui, lui, peut avoir des effets secondaires parfois graves." Elle conseille, même en cas de mammographie normale, de palper ses seins et de consulter en cas d’apparition de tout symptôme d’alerte : "Autant la mammographie de dépistage ne fait pas la preuve de son utilité, autant la mammographie de diagnostic en présence de symptômes est, elle, indiquée."

Pourquoi les programmes de dépistage se poursuivent-ils ?

Dans un autre article publié simultanément, les auteurs écrivent qu'en dépit des inquiétudes concernant le surdiagnostic, il est "difficile, voire impossible" d'éliminer progressivement les programmes de dépistage, "même lorsque la recherche n'a pas réussi à documenter des avantages significatifs" en particulier parce que les organismes, les médecins et même certaines associations de patients ont un intérêt à ce que ces programmes se poursuivent. Ils souhaitent que ces acteurs ne jouent plus "de rôle de premier plan dans l’élaboration des lignes directrices de ces campagnes."

"Les représentants et les experts du secteur de la santé doivent être honnêtes, transparents et impartiaux quant aux avantages et aux inconvénients du dépistage, afin de permettre une véritable prise de décision partagée", ajoutent-ils.

Beaucoup d’acteurs du dépistage du cancer entretiennent en effet dans l'esprit du public une confusion entre le fait de "sauver des vies" par diminution du risque spécifique de mourir du cancer du sein, pour prendre le cas de la mammographie, et le risque de mortalité toutes causes confondues, qui devrait être le seul critère à prendre en compte.

C’est ce qu’expliquent dans un éditorial les docteurs H. Gilbert Welch et Tanujit Dey, du Brigham and Women's Hospital de Boston, qui demandent que soit clarifié le terme "sauver des vies". "Il est possible, dans les essais cliniques randomisés de dépistage, de réduire les décès dus au cancer visé sans réduire les décès dus à toutes les causes", écrivent-ils. La mesure importante, ajoutent-ils, est la mortalité toutes causes confondues, plutôt que la mortalité spécifique au cancer dépisté

Lire aussi : Surdiagnostic : pourquoi le dépistage organisé du cancer du sein n'a pas fait baisser la mortalité (abonnés)

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