Peut-on inverser Alzheimer ?

Par Thierry Souccar - Journaliste et auteur scientifique, directeur de laNutrition.fr Publié le 01/06/2023 Mis à jour le 16/06/2023
Actualité

Deux études suggèrent qu'il est possible, par des changements de mode de vie, d'inverser le déclin cognitif léger et la maladie d'Alzheimer à un stade précoce.

La maladie d'Alzheimer

Selon l’étude PAQUID, environ un million de Français de plus de 65 ans souffriraient de la maladie d'Alzheimer ; 17 % des personnes âgées de plus de 75 ans seraient concernées. Et on attend 1 800 000 cas d’ici 2050, soit près d’une personne sur dix de plus de 65 ans.

Toujours selon PAQUID, aux stades légers ou précoces, seul un cas sur trois est connu du patient ou de son médecin.

Or il n’existe aujourd’hui aucun traitement efficace de la maladie d'Alzheimer, ni des maladies neurodégénératives telles que les démences fronto-temporales et la sclérose latérale amyotrophique. Les inhibiteurs de la sécrétase ont échoué à améliorer les patients dans les essais cliniques et ont même pu accélérer la progression de la maladie. Les anticorps monoclonaux sont à l'étude : l'aducanumab a été approuvé par la Food and Drug Administration américaine, mais pas par l'Agence européenne du médicament, en raison de preuves d'efficacité insuffisantes. Un autre médicament, le lecanemab est en cours d'évaluation, une demande d'autorisation accélérée ayant été faite en mars 2023 ; mais des experts européens se montrent très réservés sur le rapport entre les bénéfices cliniques de ce médicament, et ses risques pour la santé. Mais ces traitements semblent réduire le volume du cerveau, un effet inquiétant qui interroge les spécialistes.

Le rôle du mode de vie

C’est dans ce contexte qu’a émergé il y a quelques années une approche personnalisée issue de la médecine de précision, dont le neurologue américain Dale Bredesen est le pionnier. Dale Bredesen a écrit plusieurs livres à ce sujet, dont Les premiers survivants d'Alzheimer, un recueil de cas de malades au stade précoce, ayant recouvré la mémoire grâce à son protocole ReCODE qui fait surtout appel à des changements de mode de vie. Si cette approche thérapeutique est confirmée, elle représenterait une révolution aussi importante que celle ayant bouleversé la prise en charge du diabète, considéré encore il y a 10 ans comme une maladie incurable, et qui peut être inversée par des changements de mode de vie.

Lire : Bientôt la fin d'Alzheimer ?

Le protocole ReCODE consiste à déceler chez les patients aux stades précoces de la maladie ou du déficit cognitif, les facteurs dont on pense qu’ils contribuent à Alzheimer, puis les traiter, le plus souvent par des modifications alimentaires et du mode de vie.

Plusieurs facteurs ont été identifiés dans les études épidémiologiques, pathologiques, toxicologiques, génétiques et biochimiques : résistance à l’insuline, neuroinflammation, déficits en nutriments et hormones, exposition à des toxiques, stress chronique...

Le protocole ReCODE a déjà été appliqué à plusieurs centaines de patients, et ces cas ont été rapportés dans la littérature scientifique, mais on dispose aujourd’hui d’études d’intervention.

Une étude positive qui ouvre des perspectives

La plus récente de ces études est un essai de preuve de concept, conduit par des chercheurs dont le Dr Bredesen, sur 25 patients américains atteints de la maladie d'Alzheimer ou de troubles cognitifs légers et âgés de 50 à 76 ans.

Des examens physiques et neurologiques standards ont été effectués sur chaque patient. Des tests génétiques ont également été effectués pour identifier les variantes génomiques qui peuvent contribuer au déclin cognitif, dont le génotype APOE.

Des tests biochimiques ont été réalisés pour identifier les marqueurs soupçonnés de favoriser la perte de mémoire, dont résistance à l'insuline, facteurs vasculaires, inflammation systémique, infection chronique, santé gastro-intestinale, dysrégulation hormonale, statut nutritionnel, exposition à des toxines ou à des substances toxiques, marqueurs d'auto-immunité, hypoxémie nocturne.

Une imagerie par résonance magnétique (IRM) du cerveau avec volumétrie a été réalisée pour chaque patient, lors de l'évaluation initiale et à nouveau à la fin du protocole de traitement de 9 mois.

Les patients ont été traités pendant neuf mois avec un protocole de médecine de précision personnalisé qui ciblait les facteurs identifiés chez chaque patient et susceptibles de contribuer à leur maladie ou trouble, et la cognition a été mesurée au début de l’étude, puis 3, 6 et 9 mois plus tard.

Le régime alimentaire suivi par les patients était un régime riche en plantes, riche en fibres, légèrement cétogène, riche en légumes-feuilles et autres légumes non féculents, riche en graisses insaturées, avec une charge glycémique faible, et 12 à 16 heures de jeûne chaque nuit entre le repas du soir et le premier repas du jour suivant. 

Les produits biologiques, les poissons sauvages à faible teneur en mercure (saumon, maquereau, anchois, sardine et hareng) et la consommation modérée d'œufs et de viandes de pâturage ont été encouragés, ainsi que l'évitement des aliments ultra-transformés, des glucides simples, des aliments contenant du gluten, et des produits laitiers. Les niveaux de cétones dans le sang ont été surveillés, l’objectif étant de se situer entre 1,0 à 4,0 mM de bêta-hydroxybutyrate. 

L'exercice, à la fois aérobie et de musculation, était encouragé : au moins 45 minutes par jour, au moins six jours par semaine pour l'exercice aérobie, et au moins deux fois par semaine pour la musculation. Un entraînement fractionné (HIIT) a été recommandé au moins deux fois par semaine.

L'hygiène du sommeil a fait l’objet d’une attention particulière pour assurer 7 à 8 heures de sommeil de qualité chaque nuit, et tous les patients sans apnée du sommeil connue ont été évalués pendant plusieurs nuits à l'aide d'appareils installés à domicile. Les personnes diagnostiquées avec une apnée du sommeil ou un syndrome de résistance des voies respiratoires supérieures ont été invitées à se procurer un appareil à pression positive continue ou un dispositif d'attelle dentaire.

La gestion du stress comprenait un entraînement au biofeedback et à la variabilité de la fréquence cardiaque de type cohérence cardiaque.

L'entraînement cérébral a été effectué à l'aide de BrainHQ, pendant un minimum de 15 minutes par jour. Les participants se sont entraînés sur 29 exercices cognitifs qui ciblent la vitesse et la précision du traitement de l'information.

Pour les patients présentant un statut hormonal sous-optimal, un remplacement hormonal bio-identique ont été fournis pour optimiser les niveaux d'hormones sexuelles, de neurostéroïdes (DHEA, prégnénolone et vitamine D) ; des médicaments thyroïdiens ont été prescrits dans le cas d’une fonction thyroïdienne insuffisante. Pour ceux dont le statut en nutriments était insuffisant (par exemple, vitamine D, oméga-3, vitamines B, CoQ10 ou minéraux), les nutriments appropriés ont été fournis.

Pour les personnes souffrant d'hyperperméabilité gastro-intestinale, d'infections, d'inflammation ou d'absorption et de digestion altérées, une guérison intestinale avec restriction alimentaire, des nutriments et un soutien enzymatique digestif si indiqué, ainsi qu'un traitement de toute dysbiose identifiée, ont été entrepris. L'hyperperméabilité gastro-intestinale a été évaluée en testant la réponse des anticorps aux antigènes suivants liés à la perméabilité : actomyosine (IgA), occludine/zonuline (IgA, IgG, IgM) et lipopolysaccharide (IgA, IgG et IgM).

Pour les personnes présentant des signes d'inflammation systémique, des médiateurs pro-résolution et des suppléments anti-inflammatoires naturels ont été fournis ; de la naltrexone à faible dose a été prescrite (si il y avait des preuves d'auto-immunité). Des acides gras oméga-3 ont été inclus via l'alimentation et les suppléments. 

Les agents infectieux associés au déclin cognitif ou à l'inflammation systémique ont été identifiés et traités. Pour les personnes présentant des signes d'infection à Herpes simplex ou des antécédents d'épidémies, le valacyclovir a été prescrit pendant 2 à 6 mois.  Pour ceux présentant des signes d'infections transmises par les tiques telles que Borrelia, Babesia ou Bartonella , un traitement a été prescrit, de pair avec un soutien immunitaire.

Pour ceux qui présentaient une toxicité associée aux métaux (par exemple, le mercure ou le plomb), aux polluants organiques (par exemple, le benzène, les phtalates ou les insecticides organophosphorés) ou aux biotoxines (par exemple, les trichothécènes, l'ochratoxine A ou la gliotoxine), une détoxification ciblée a été entreprise avec des agents séquestrants et une restriction alimentaire des fruits de mer si indiqué.

Ce que les chercheurs ont observé

Effets métaboliques

Une réduction significative de l'inflammation a été observée (baisse de la protéine C réactive). Le niveau de glycation a diminué (baisse de l'hémoglobine A1c), la résistance à l'insuline a baissé de manière non significative (HOMA- IR), le profil lipidique a été amélioré (diminution du du rapport triglycérides sur lipoprotéines de haute densité) et la vitamine D sérique a augmenté. 

Cognition

Les 25 participants ont globalement connu une amélioration subjective (jugée par leurs partenaires d'étude) au cours de la période traitement.

Les auteurs de l'étude ont aussi utilisé CNS Vital Signs, une évaluation neuropsychologique informatisée, pour évaluer les performances et les changements cognitifs. La comparaison des résultats entre le début de l’étude et la fin de l’étude montre une amélioration significative de l'Indice neurocognitif (voir ci-dessous). Cette amélioration concerne surtout la vitesse psychomotrice, le fonctionnement exécutif, la vitesse motrice, la mémoire verbale, l'attention simple, la flexibilité cognitive et le temps de réaction.

Indices neurocognitifs (NCI) pour les 25 patients au départ, et au bout de 3, 6 et 9 mois.
D'après Toups et al 2022.

D’autres tests comme le MoCA et BrainHQ ont eux aussi enregistré une amélioration des capacités cognitives.

Les volumes de matière grise des patients ont augmenté en moyenne de 0,3 % sur une base annualisée. À titre de comparaison, les volumes longitudinaux de matière grise diminuent généralement en moyenne de 0,83 à 0,92 % par an pour les personnes sans déclin cognitif et de 2,20 à 2,37 % pour les personnes atteintes de la maladie d'Alzheimer.

Les volumes de l'hippocampe des patients de l'essai ont diminué à un taux annualisé de 1,29 %. À titre de comparaison, les volumes de l'hippocampe diminuent chez les patients atteints de MCI ou de la maladie d'Alzheimer à un taux annualisé de 3,5 à 4,66 %, et chez les témoins cognitivement stables à un taux moyen de 1,41 à 1,73 %.

Une analyse supplémentaire des résultats de l'IRM n’a détecté aucune perte de volume cérébral ou d’amincissement cortical chez les participants.

Conclusion

Même si l’étude, comme la plupart des essais de ce type, n’est pas exempte de faiblesses et de critiques, ses résultats pris globalement suggèrent qu'une approche de médecine de précision utilisant le protocole ReCODE peut être une stratégie efficace pour améliorer la cognition dans les stades précoces de la maladie d'Alzheimer et chez les patients atteints de déclin cognitif. D'autant qu'une autre étude, de 2019, avec un protocole proche et sur un nombre plus important de participants, a déjà apporté des arguments en faveur de ce type d'intervention pour prévenir Alzheimer, ou améliorer/stabiliser les patients aux stades précoces.

Il faut ajouter qu’aucun événement indésirable sérieux n'a été enregistré dans l'une ou l'autre des études. Au contraire, dans l'étude Bredesen en particulier, la plupart des patients ont amélioré leur état de santé général, et des observations non publiées montrent que certains patients n'auront plus besoin d'antihypertenseurs, de médicaments antidiabétiques ou d'agents hypolipidémiants, car le protocole qu’ils ont suivi s'attaque à ces facteurs pouvant contribuer au déclin cognitif. 

Ces études confirment et étendent les rapports anecdotiques selon lesquels il est possible d'inverser le déclin cognitif et la démence précoce avec un protocole personnalisé de médecine de précision qui pourrait être appliqué à des milliers de patients en France. Un essai clinique plus vaste est en cours.

Pour en savoir plus : Les premiers survivants d'Alzheimer, par le Dr Dale Bredesen

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