Comme des athlètes qui soignent leur alimentation en vue de leurs performances sportives, professionnels et étudiants pourraient booster leurs capacités en mangeant mieux.
Bien manger
Le Nutri-Score, qui évalue les produits selon leur composition chimique, ne permet pas toujours de faire de bons choix alimentaires. Explications.
Pouvoirs publics, médecins, diététiciens-nutritionnistes… tous voudraient voir refluer l'obésité, le diabète et les pathologies associées par l’amélioration de l’alimentation. Cependant, pour atteindre cet objectif, il est essentiel de se concentrer sur l'amélioration de la qualité globale de l’alimentation, et pas uniquement sur celle de la composition nutritionnelle des aliments. Curieusement, il est désormais possible aujourd’hui d'améliorer la composition nutritionnelle des aliments sans pour autant améliorer leur qualité. Comment est-ce possible ?
En 1981, les Pr David Jenkins et Thomas Wolever, de l’université de Toronto au Canada ont publié un article passé totalement inaperçu à l’époque, mais qui a révolutionné la nutrition. Cet article décrivait le concept d’index glycémique, devenu depuis un marqueur important de la qualité alimentaire. Il était révolutionnaire parce qu’il balayait les vieilles notions de « sucres simples » et « sucres complexes », basées sur la chimie des glucides, qui prévalaient à l’époque, pour leur substituer une approche basée sur la physiologie. C’était un changement de paradigme considérable : considérer l’aliment selon ses effets sur l’organisme et non selon sa composition chimique.
Nous avons besoin du même changement de paradigme aujourd’hui, alors que les aliments du supermarché se couvrent des notes et couleurs du fameux Nutri-Score, l’étiquetage nutritionnel simplifié censé nous indiquer ceux qui sont bons pour la santé.
Tout comme on l’a fait anciennement avec les glucides, le Nutri-Score considère l'alimentation d’un point de vue chimique, c’est-à-dire qu’il considère que la qualité d’un aliment dépend de la quantité de ses constituants (glucides, lipides, protéines, fibres, etc.). Or ce qui compte pour la santé c'est ce qu’il se passe d’un point de vue physiologique, c’est-à-dire de quelle manière notre
corps réagit à ce que nous mangeons : glycémie, insulinémie, stress oxydant, etc.
La chimie reflète la composition nutritionnelle d’un aliment, la physiologie reflète la qualité globale de l’aliment. Ce sont deux approches bien distinctes. L'approche uniquement chimique ne permet pas d'appréhender ce qu'il se passe réellement dans notre corps.
Des produits ultra-transformés bien notés par le Nutri-Score
Voici par exemple un aliment du petit déjeuner de très bonne qualité chimique mais avec des répercussions physiologiques délétères.
Ces céréales ont droit à un Nutri-Score A parce que chimiquement elles ne contiennent pas trop de gras, pas trop de sucre. Physiologiquement, du fait de leur haut degré de transformation (ces pétales n’ont plus rien à voir avec le grain de céréale d’origine), elles provoquent une élévation brusque de la glycémie et peu de temps après, en réaction, une élévation brusque de l’insulinémie.
Cela n’est pas sain pour le petit déjeuner d’un enfant qui s’apprête à aller à l’école et à suivre l’enseignement de son instituteur.trice. Sa capacité d’écoute et de concentration sera mise à mal.
Comme nous l’ont appris Jenkins et Wolever, chimie et physiologie sont deux choses différentes.
Prenons un autre exemple pour illustrer ce point. Les produits allégés, light, zéro %, sont souvent perçus comme des options plus saines en raison de leur réduction de calories, de sucre ou de matières grasses. Le Nutri-score, en se basant sur la composition nutritionnelle, tend à leur attribuer une meilleure note par rapport à leur version originale. Cependant, la composition nutritionnelle ne reflète pas toujours la véritable qualité alimentaire. En effet, de nombreux produits allégés peuvent contenir des substituts artificiels tels que des édulcorants, des additifs ou des agents de texture pour compenser la perte de goût due à la réduction de sucre ou de matières grasses. Ces substituts peuvent avoir des effets néfastes sur la santé à long terme. Certaines études ont suggéré par exemple que les édulcorants artificiels pourraient être associés à une augmentation de l'appétit, à une perturbation du métabolisme et même à un risque accru de maladies métaboliques telles que le diabète.
L'amélioration de la composition nutritionnelle des produits industriels grâce au Nutri-Score est indéniable, et tout le monde semble s’en féliciter, à commencer par la revue Que Choisir qui a publié le 12 avril 2023 un communiqué de presse pour applaudir des deux mains cette évolution. Malheureusement le Nutri-Score suscite le doute et l'incompréhension d’une frange des chercheurs en nutrition et des consommateurs avertis. Oui, le Nutri-Score peut conduire à des choix alimentaires de meilleure qualité chimique, mais pas forcément physiologique. C’est sans doute contre-intuitif pour beaucoup, mais l’obligation d’afficher le Nutri-Score telle que la réclame l’UFC Que Choisir serait en réalité contre-productive.
Approche réductionniste versus approche holistique
Le Nutri-Score résulte d’une approche réductionniste de l'alimentation en se focalisant sur les nutriments, alors que pour espérer avoir des effets sur la santé, il faudrait avoir une approche holistique c’est-à-dire globale. Est-il réellement possible d'améliorer la santé et de réduire le surpoids et le diabète en consommant des aliments ultra-transformés de meilleure composition nutritionnelle ? L’explosion du diabète dans notre pays, la montée de l’obésité apportent des éléments de réponse.
Pour changer véritablement le comportement des consommateurs, il faudrait avant tout améliorer leurs connaissances avec une éducation à l’alimentation globale. Plutôt que de se fier uniquement au Nutri-Score, il serait préférable de bâtir une stratégie pédagogique et d'améliorer les connaissances alimentaires dès le plus jeune âge.
Pourquoi ne pas faire confiance à la population et éviter d’infantiliser les choix alimentaires en utilisant une lettre et une couleur, comme si nous étions incapables de faire de bons choix par nous-mêmes ? Je crois fermement en l'éducation à l’alimentation à l’école : une véritable éducation alimentaire tout au long du parcours scolaire, de la maternelle au lycée, en alternant enseignement pratique (avec des cours de cuisine notamment) et théorique, permettrait de développer une compréhension approfondie de l'alimentation et améliorerait la santé de la population. L'alimentation est une magnifique discipline transversale qui englobe les mathématiques, l'histoire, la géographie, et bien d'autres domaines. La base de tout changement de comportement alimentaire réside dans la compréhension de ce que nous consommons. Comment pouvons-nous espérer modifier nos comportements alimentaires si nous ignorons ce qu'est une alimentation saine et préventive ?
N'en déplaise à l’UFC-Que Choisir, il me paraît donc préférable de ne pas rendre le Nutri-Score obligatoire. Une telle mesure risquerait d’entretenir de la confusion et laisser penser qu’une éducation à l’alimentation n’est ni nécessaire et ni prioritaire. Or la confusion est l'atout principal de l'industrie agroalimentaire pour continuer à vendre des aliments ultra-transformés de bonne composition nutritionnelle en utilisant des stratégies marketing efficaces (de la malbouffe de bonne qualité comme le dirait le chercheur en nutrition brésilien Carlos Monteiro). Comment pouvons-nous espérer un changement de comportement alors que le Nutri-Score valorise certains aliments ultra-transformés ?
En 1981, David Jenkins et Thomas Wolever ont montré à toute la communauté de la nutrition, mais aussi au grand public, quelle était la voie du bon sens. Il est dommage que certains l’aient oublié. Rappeler leur approche, la décliner et l’appliquer à la nutrition moderne est aujourd’hui une nécessité absolue pour combattre par la qualité alimentaire les maladies non transmissibles.
