« L’alimentation industrialisée conduit aux maladies chroniques et aux maladies infectieuses »

Par Thierry Souccar - Journaliste et auteur scientifique, directeur de laNutrition.fr Publié le 04/05/2022 Mis à jour le 04/05/2022
Point de vue

Le Dr Hernando Salcedo Fidalgo défend dans les instances internationales le droit à l'alimentation, et lutte contre la globalisation de la malbouffe. Il préconise un changement radical des pratiques alimentaires et agricoles.

Hernando Salcedo Fidalgo est médecin et coordonnateur de la thé­matique Nutrition de FIAN Colombie. Il est également titulaire d’un master en sociologie de l’École des Hautes Études en Sciences Sociales de Paris. Proche de la chercheuse Mélissa Mialon, qui a écrit Big Food & Co, il demande une remise à plat des pratiques agricoles et industrielles pour assurer à tous une alimentation de qualité, préserver la santé et protéger l'environnement.

LaNutrition : Qu’est-ce que l’association FIAN, à laquelle vous appartenez ?

Dr Hernando Salcedo Fidalgo : FIAN, acronyme de Food International Advocacy Network, est née il y a plus de 30 ans issue d’un groupe d’Amnistie International.  FIAN défend le droit à une alimentation et une nutrition adéquates dans le monde. FIAN a 50 antennes, dont une en Colombie. Au niveau international, nous sommes très présents au Comité de sécurité alimentaire de la FAO par le biais du Mécanisme de la Société Civile dont nous faisons partie. Nous avons joué un rôle important dans la mise au point de directives alimentaires, et sur les questions d’agro-écologie.

Quelles actions menez-vous à l’échelle locale ?

On a eu à défendre le droit à l’alimentation, par exemple dans le cas d’une mine de charbon à ciel ouvert qui a entraîné le déplacement de communautés, donc une urgence alimentaire. Nous sommes aussi intervenus dans le cas de la construction du barrage hydroélectrique Sogomaso qui a déplacé plusieurs dizaines de familles rurales. Nous avons mené des actions locales et auprès de la Cour internationale des droits de l’homme. Depuis 3 ans, nous sommes engagés dans la défense des droits alimentaires des enfants et des adolescents en Colombie qui sont exposés aux aliments ultra-transformés (AUT), notamment via les programmes d’alimentation scolaire.

Nous luttons contre ce système de production de la malbouffe. Nous avons obtenu le vote au parlement colombien d’une loi contre la malbouffe, avec la mise en place d’un dispositif d’étiquetage alimentaire pour alerter sur la présence d’AUT et pour protéger l’alimentation servie en milieu scolaire. La section nutrition de FIAN Colombie a été l’un des acteurs principaux de la loi, appuyée par une grande association de parents d’élèves et plusieurs ONG du pays, dont le tout constitue aujourd’hui une coalition.

L’étiquetage que vous défendez est-il différent du Nutri-Score ?

Oui, en Colombie, la recherche a conduit à la mise au point d’un octogone noir qui a une fonction d’alerte. Pas une forme ronde, car le rond est associé à la promotion. L’alerte n’est pas basée sur des limites de concentration en certains nutriments comme le Nutri-Score, mais sur la présence d’un aliment ultra-transformé. Cet étiquetage doit être mis en place , le texte de loi a été approuvé mais le ministère de la santé, en accord avec l’industrie, veut un étiquetage « interprété ». Une pétition circule actuellement pour demander au ministère la stricte application de la loi, pas son interprétation.

La population française reste assez peu consciente des problèmes posés par les aliments ultra-transformés. Est-ce différent en Colombie ?

La population colombienne a peu à peu été sensibilisée à la différence entre un aliment et « quelque chose de comestible » qui est la définition d’un AUT. En France, du fait de la présence du Nutri-Score, il y a confusion sur ce qu’est un aliment, puisque de vrais aliments peuvent avoir un mauvais Nutri-Score, et à l’inverse, des AUT peuvent se voir décerner un bon Nutri-Score.

Dans des articles récents vous expliquez que l’alimentation industrialisée conduit non seulement à l’obésité et aux maladies chroniques non transmissibles, mais aussi aux maladies infectieuses dont la COVID-19.

En février 2018, la Commission Lancet a publié un article qui fait état d’un lien entre la consommation d’ali­ments industrialisés, l’obésité et les maladies chroniques, et les écosystèmes dégradés. La production industrielle de produits alimentaires est donc responsable à la fois des mala­dies chroniques non transmissibles et de la fragilisation des écosystèmes.

Or le risque de maladies infectieuses est lui-même un indicateur du déclin de la biodi­versité. La fragilité des écosystèmes facilite la transmission des infections d’une espèce à l’autre, des zoonoses d’autres espèces à l’espèce humaine et vice versa. L’impact le plus important sur la biodiversité à l’heure actuelle vient des pratiques de l’industrie agro-alimentaire, c’est-à-dire l’utilisation de pesticides, la prolifération des monocultures extensives, l’expansion et l’intensification de l’élevage indus­triel. L’industrie agro-alimentaire a créé les conditions propices à l’émergence de la pandémie actuelle. Les maladies infectieuses que l’on croyait vaincues re­viennent sur le devant de la scène dans ce modèle où les maladies chroniques non transmissibles côtoient les nou­velles maladies transmissibles.

Cela signifie-t-il que les réponses à la pandémie passent par un changement de pratiques alimentaires ?

Oui. L’organisation mondiale de la santé l’a toujours reconnu. Par exemple, le 20 janvier 2022, des réunions et des webinaires ont été organisés à l’OMS et l’un des webinaires portait sur « régime sain et durable et COVID-19 ». Mais il y a une vraie difficulté à passer à l’action. On s’est focalisé sur la vaccination, et rien n’a été fait au niveau des systèmes alimentaires. Il y a là une forme de réductionnisme extrême. Même carence au niveau national. En France, par exemple, on dispose d’enquêtes épidémiologiques approfondies, on connaît les apports énergétiques, les apports en nutriments, les modes de consommation par catégorie de population et par région, mais ces données ne sont pas utilisées pour conduire une politique publique de réponse à la pandémie. C’est incompréhensible.

Que faudrait-il faire au plan international pour promouvoir une alimentation saine et durable ?

Dans un article récent nous avons fait 6 propositions. Nous demandons entre autres une action politique collective exigeant des États une sortie définitive du régime alimentaire agro-industriel. Cela n’est possible qu’au moyen d’une production agricole paysanne, ethnique, familiale, communautaire et agroécologique dirigée par les femmes, qui ont démontré leur capacité à nourrir le monde. Nous souhaitons aussi que s’organise la défense de biens communs tels que les « vrais » aliments, l’eau, l’es­pace, les biotes, afin qu’ils soient échangés et partagés en dehors des intérêts du marché.

Comment encadrer les pratiques de l’industrie agro-alimentaire ?

Au niveau des Nations Unies comme celui des gouvernements, il faut éviter que le privé influence les politiques, les pratiques des professionnels de santé et l’éducation. Il faut interdire toute interférence dans la sphère politique, les hôpitaux le système scolaire. Ensuite, il faut se pencher sur le sujet des taxes. En Colombie, pour l’élaboration du nouveau projet de loi on a proposé de taxer les boissons industrielles, et utiliser les produits des taxes pour le financement de la santé. On nous a opposé que les taxes ont un impact négatif sur l’emploi, mais c’est un faux argument. La question des taxes est importante et elle doit être ouverte. Enfin, il faut mettre un terme à l’influence de l’agro-alimentaire sur la recherche. L’argent de l’industrie ne doit pas financer la recherche au risque de nuire à l’évidence scientifique et l’objectivité.

Lire aussi Dr Anthony Fardet : « Les aliments ultra-transformés abîment notre santé et celle de la planète. »

 

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