Qualité alimentaire : pourquoi le Nutri-Score ne suffit pas

Par Marie-Céline Ray - Journaliste scientifique Publié le 22/09/2022 Mis à jour le 27/09/2022
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Pour juger de la qualité d'un aliment, son degré de transformation a plus d'importance que sa simple composition nutritionnelle, donnée par le Nutri-Score.

Une alimentation de mauvaise qualité augmente le risque d’obésité et de maladies chroniques, comme le diabète. Dans le monde, environ un décès sur cinq est lié à une mauvaise alimentation. C’est pourquoi il est important que la population soit informée de la qualité des aliments qu’elle consomme.

Qualité nutritionnelle des aliments et étiquetage

Afin de lutter contre ce fardeau, les politiques publiques ont cherché à mettre en place un étiquetage des aliments qui guide les consommateurs dans leurs choix alimentaires. Le Nutri-Score a ainsi été développé par des chercheurs universitaires français et approuvé dans sept pays européens.

Le Nutri-Score classe les aliments avec un code couleur (de vert à rouge), en cinq groupes allant de A à E, en fonction de leur composition nutritionnelle. L'objectif du Nutri-Score est de fournir au consommateur les informations qui lui permettent de comparer la qualité nutritionnelle de produits d'une même catégorie.

Lire : Le Nutri-Score, c'est quoi ?

Toutefois l’efficacité de cet étiquetage soulève des interrogations car il ne tient pas compte du degré de transformation de l’aliment. En effet, il existe plusieurs façons de juger de la qualité d’un aliment : en examinant sa composition nutritionnelles sur la base d'un petit nombre de paramètres (protéines, glucides, lipides, vitamines, minéraux), ou en regardant son degré de transformation.

Or, comme l'explique le Dr Anthony Fardet, « un aliment c’est bien plus qu’une juxtaposition de nutriments. » En effet, la structure des aliments, c’est-à-dire leur matrice, expliquerait aussi leurs effets physiologiques et biologiques. Dans les aliments complets, non dénaturés, cette matrice est intacte : elle est constituée d’un réseau serré de fibres, protéines, en interaction avec d’autres nutriments. Mais la fabrication des aliments industriels dégrade cette matrice.

L’effet matrice

La composition nutritionnelle et la matrice d’un aliment sont les deux éléments fondamentaux à prendre en compte pour juger de la qualité d'un aliment, comme l’explique Pamela Ebner, diététicienne-nutritionniste, dans son livre Manger Vrai : « La matrice gouverne le devenir métabolique des nutriments. Lorsqu’elle est préservée comme c’est le cas dans les aliments bruts, peu ou normalement transformés, les effets métaboliques des nutriments sont optimaux. »  Pour illustrer cet effet matrice, Pamela Ebner dite deux exemples :

  • la différence entre une amande entière et une amande broyée : bien que de même composition, « elles n’ont pas les mêmes effets sur l’organisme. L’amande entière est plus rassasiante, elle libère ses graisses plus lentement ce qui implique que moins de graisses sont absorbées in fine par rapport à des amandes en poudre » ;
  • la différence entre un pain classique et un pain de mie : « un pain avec une mie très aérée se digère beaucoup plus rapidement qu’un pain à la mie dense enrichi en fibres. Il élève beaucoup plus la glycémie. L’index glycémique (IG) du pain à la mie aérée est de 75 tandis que celui à la mie dense est de 52. » Or un IG plus élevé favorise la prise de poids.

Autre problème avec les aliments industriels comme le pain de mie : ils se mastiquent moins que les aliments bruts, on a plus vite faim, le sentiment de satiété est perturbé !

Lire aussi l'interview d'Anthony Fardet : "Les aliments ultra-transformés abîment notre santé et celle de la planète"

Le cas des aliments ultra-transformés (AUT)

Certains aliments peuvent à première vue, être considérés comme intéressants par leur composition nutritionnelle, alors que, s’agissant d’aliments ultra-transformés, ils sont issus de process industriels qui dénaturent leur matrice, contiennent de nombreux "ACE", c'est-à-dire des additifs et des ingrédients qui ne sont généralement pas utilisés dans les recettes culinaires traditionnelles : amidon modifié, huiles hydrogénées, sirops, arômes... De nombreuses études montrent que les personnes qui consomment le plus d’aliments ultra-transformés ont aussi un risque plus élevé de maladies non transmissibles comme le cancer, d'obésité et de mortalité.

Des scientifiques pensent que le rôle de la transformation des aliments est encore largement ignoré ou minimisé, au profit de leur composition, une dérive qualifiée de "nutritionnisme" par le chercheur australien Gyorgy Scrinis. On peut en effet se demander quel paramètre est le plus important pour savoir si un aliment est sain : sa composition nutritionnelle ou son degré de transformation ?

Lire : Les dérives de la nutrition, de Gyorgy Scrinis

Composition nutritionnelle vs degré de transformation

Dans un article paru en août 2022 dans le British Medical Journal, des chercheurs italiens ont examiné le lien entre la nutrition et la mortalité, en utilisant les données de l'étude Moli-sani. Pour cela, les auteurs ont suivi plus de 22 000 personnes pendant 12 ans. Ils ont analysé leur état de santé et leurs habitudes alimentaires, en tenant compte :

  • de la composition nutritionnelle des aliments, évaluée avec l'indice FSAm-NPS, un outil qui sert de base à la notation Nutri-Score ;
  • du degré de transformation des aliments, évalué avec la classification NOVA.

Les participants ont été séparés en quatre groupes en fonction de la qualité des aliments consommés.

Par rapport au quart qui mangeait les aliments les mieux notés au Nutri-Score, les 25 % de personnes qui mangeaient les aliments les moins bien notés augmentaient :

  • de 19 % leur risque de décès toutes causes ;
  • de 32 % leur risque de décès pour une cause cardiovasculaire.

Concernant la transformation des aliments, les personnes qui mangeaient le plus d’aliments ultra-transformés augmentaient ces risques respectivement de 19 % et de 27 %. Mais lorsque les deux indices de notation des aliments ont été associés, l’ampleur de l’association entre les aliments peu nutritifs et la mortalité s’est atténuée, alors que le risque associé à la consommation d’AUT n’était pas modifié.

Dans un communiqué, Marialaura Bonaccio, épidémiologiste et principale auteure de l'étude, a commenté ces résultats de la façon suivante : « lorsque nous avons pris en compte à la fois la composition nutritionnelle globale de l'alimentation et son degré de transformation, il est apparu que ce dernier aspect était primordial pour définir le risque de mortalité. En effet, plus de 80 % des aliments classés malsains par le Nutri-Score sont également ultra-transformés, ce qui suggère que l'augmentation du risque de mortalité n'est pas due directement (ou exclusivement) à la mauvaise qualité nutritionnelle de certains produits, mais plutôt au fait que ces aliments sont pour la plupart ultra-transformés ».

Plus de la moitié des aliments notés favorablement par le Nutri-Score sont ultra-transformés
 

Les auteurs en concluent que :

  • les adultes ayant le régime alimentaire de la plus faible qualité (selon l'indice FSAm-NPS) et la consommation d'aliments ultra-transformés la plus élevée (selon la classification NOVA) sont les plus exposés au risque de mortalité toutes causes confondues et de mortalité cardiovasculaire ;
  • une part importante du risque de mortalité associé aux aliments peu nutritifs s'explique par le degré de transformation de ces produits ;
  • la relation entre une forte consommation d’aliments ultra-transformés et la mortalité ne s'explique pas par la mauvaise qualité de ces aliments.

Pour le Pr Giovanni de Gaetano, co-auteur de l’étude, une des faiblesses des systèmes d’étiquetage est qu’ils isolent un seul aliment, sans tenir compte de l’alimentation dans son ensemble : « Pour vraiment améliorer la nutrition, il faudrait revenir aux leçons anciennes du régime méditerranéen, qui est un mode de vie caractérisé par un choix judicieux des aliments et la manière de les combiner et de les consommer. Ce n'est pas une liste de courses, mais c'est le reflet d'une histoire centenaire qui risque de disparaître si l'on considère les aliments comme des atomes qui ne communiquent pas entre eux. Nous devons également nous rappeler que le régime alimentaire des peuples méditerranéens est principalement basé sur des produits frais ou peu transformés. »

Le problème, c'est que le Nutri-Score ne permet pas d'éviter les aliments ultra-transformés (AUT). Dans une étude récente conduite en France, plus de la moitié des aliments bien notés par le Nutri-Score étaient des AUT. 

Quel avenir pour le Nutri-Score ?

Actuellement le Nutri-Score est utilisé sur une base volontaire en France et dans d'autres pays. Mais la Commission Européenne doit se prononcer avant la fin de l'année 2022 sur le choix d'un étiquetage nutritionnel obligatoire dans tous les États membres de l'Union européenne. Ce choix pourrait porter sur le Nutri-Score.

Lire aussi : Revers européen pour le Nutri-Score ?

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